Devant les actionnaires individuels anglais, Hervé Huas avait rassemblé tout ce qu'il a appris des manières anglo-saxonnes, lorsqu'il était chez JP Morgan, pour faire acte de modestie et de contrition devant une assemblée qu'il savait sur les pattes arrière après mercredi. L'éminence financière des putschistes français a montré tant de diplomatie, acquiesçant à tout et son contraire pour ne fâcher personne, qu'un observateur a fini par le comparer à un caméléon.
«Je m'excuse du comportement des Français. Nous n'avons pas votre comportement de gentlemen. Les Français sont parfois difficiles à contrôler», s'est exclamé Huas, ajoutant qu'il était «temps de mettre fin aux rancœurs». A la surprise des actionnaires présents, il a ensuite affirmé que le nouveau conseil s'inspirerait largement du projet Galaxie de rééchelonnement de la dette, élaboré par les administrateurs éjectés mercredi – et dont Nicolas Miguet, le meneur de la rébellion, avait dit pis que pendre. Puis, rappelant qu'il n'avait été nommé que douze heures auparavant, il a précisé qu'il faudrait du temps «pour comprendre exactement ce qu'impliquait le plan Galaxie», une remarque qui a suscité l'ire de plusieurs actionnaires britanniques, l'accusant de n'avoir qu'une idée «très vague» de la situation. «Oui, c'est vague», a reconnu, penaud, Hervé Huas.
Vers la ruine des efforts précédents?
Un autre actionnaire a recueilli des applaudissements nourris en sollicitant un vote de remerciement pour le président destitué, Richard Shirrefs, qui avait «subi les insultes et les provocations avec une grande dignité». Les actionnaires britanniques, largement dominés en nombre par les Français, craignent que la vague de révolution française ne conduise à la ruine des efforts des dirigeants précédents pour maîtriser l'exploitation du tunnel et le service de la dette, et à la perte totale de leurs investissements, qui ne pèsent plus que 10% de leur valeur initiale. «Mercredi, il y avait suffisamment d'air chaud gaulois pour remplir une montgolfière, un ballon de très peu de substance rattaché à la Terre par un fil très ténu», a remarqué jeudi un actionnaire britannique.
Si la NatWest (aujourd'hui fondue dans le groupe Royal Bank of Scotland) et HSBC ont fortement réduit leur exposition, ces deux banques anglaises restent, avec le Crédit Lyonnais, la Banque d'Investissement Européen (Luxembourg) et le groupe américain MBIA, les plus gros créanciers d'Eurotunnel. Elles veulent entrer rapidement en discussions avec le nouveau conseil, qui, pour sa part, tente de retenir les directeurs anglais non affectés par le coup d'Etat de mercredi. Pour Eurotunnel, la date cruciale sera 2006: les paiements minimaux d'Eurostar cesseront, et, en plus du service de la dette, qui excède encore aujourd'hui les profits opérationnels du tunnel, il faudra commencer à rembourser les milliards dus aux banques.