* Chief Investment Officer, Blue Lake Advisors ** Stratégiste obligataire, Blue Lake Advisors

Ces dernières années, les caisses de pension suisses ont fait face à de nombreux problèmes largement relatés par la presse. Ces soucis proviennent d’une part de la hausse de leurs engagements, due à des facteurs structurels comme la démographie (une espérance de vie en hausse et un taux de natalité en baisse) et cycliques comme la détérioration post-crise du marché de l’emploi. D’autre part, au niveau des revenus, on observe une augmentation de la fréquence des crises financières depuis le début des années 90 consécutive à la déréglementation financière, voire (c’est controversé) la création de multiples bulles spéculatives. Le régime inhabituel de «répression financière» menée par les banques centrales, dont le corollaire est des taux nominaux extrêmement bas et des taux réels négatifs qui «spolient les épargnants», amplifie les difficultés.

On pense à la pro-cyclicité et à un certain manque d’indépendance. Les autorités de tutelle, bien qu’elles tentent de bonne foi d’améliorer les standards d’investissements, ont une marge de manœuvre limitée par des facteurs politiques; leurs actions seront dès lors très lentes, par nature. Elles n’échappent guère aux modes et ont notamment favorisé de nombreux investissements arrivant en fin de cycle, tant au Royaume-Uni et aux Pays-Bas qu’en Suisse, avec dans ce dernier cas l’arrivée très récente des investissements alternatifs peu liquides… Les conseils de fondation, eux, ne sont pas toujours composés par une majorité de vrais spécialistes de l’investissement, et il y siège nombre banquiers et gérants de portefeuilles dont le jugement peut être biaisé par une approche plus court-termiste.

La baisse quasi ininterrompue des taux directeurs et souverains des dernières décennies a des effets (futurs) pervers en matière de risques. Un petit rappel s’impose quant à la constitution des indices de référence des caisses de pension. En effet, en dépit de leur vocation première à diversifier les contributeurs à la performance, ils ont de facto concentré les risques sur la part obligataire! Ainsi, au sein d’un indice LPP 40, la composante obligataire représente en moyenne 50% des investissements, soit 30% en obligations libellées en CHF (SBI AAA-BBB) et 20% en obligations internationales (Barclays Multiverse) couvertes contre le risque de change. Cette allocation a engendré une forte exposition aux risques souverains (environ 40%). Cette allocation, appropriée dans un environnement de taux d’intérêt élevés, perd totalement sa vocation conservatrice lorsque les taux de marché sont inférieurs au taux technique. Le portage ne protège plus alors que marginalement contre les variations de prix du fait de la volatilité des taux d’intérêt. De même, les segments de marché offrant un risque de «duration» plus limité ne sont que marginalement représentés, tels que la dette à haut rendement ou celle des pays émergents, c’est-à-dire à peine plus de 1% de l’allocation globale de la fortune globale des caisses de pension.

En moyenne, la sensibilité des indices obligataires (duration) s’est accrue de plus d’une année depuis le début de la crise de la dette. Dans le même temps, les rendements ont baissé de près de 100 points de base, dégradant fortement le couple risque/rendement futur de ces indices, sans parler de la détérioration globale de la qualité de ces débiteurs.

Les investissements dans le secteur de l’immobilier donnent des signes de surchauffe après des décennies de hausses ininterrompues.

Enfin, l’approche dite «benchmarkée» a eu tendance à entraîner une concentration vers les meilleurs gestionnaires d’actifs, annihilant les bienfaits d’une approche diversifiée.

Un fort consensus a réuni ces dernières décennies régulateurs, portfolio managers et promoteurs de produits/solutions. Ils ont en fait tenté de conjuguer le très long terme (support académique, démographique) et les modes (produits/nouvelles techniques de gestion).

Mais l’approche statistique, essentiellement fondée sur les sacro-saintes analyses ex-post, a cruellement montré ses limites. Elle devra notamment évoluer vers des méthodes plus réalistes, pragmatiques, de gestion du risque (utilisant notamment les travaux de N. Thaleb). De surcroît, une approche qualitative, moins tributaire des indices de référence, et une compréhension du régime en cours pourront réduire la pro-cyclicité des investissements et donc améliorer les performances.

Parmi les meilleurs gestionnaires institutionnels anglo-saxons, GMO a pris le parti de considérer/modéliser le moyen terme, c’est-à-dire des horizons de 7 ans. Sa démarche est plus empirique, moins «commode» que les approches actuelles de nos caisses de pension et nécessite des convictions marquées. Elle a délivré sur la longue durée des résultats très probants, réduisant notamment les fâcheuses conséquences des grandes crises. Certaines grandes institutions se trouvent être à la fois juge et partie, en agissant en qualité de conseiller privilégié des instances politiques et/ou régulatrices et dans le même temps en charge de la gestion de fonds d’investissement publics.

L’approche statistique, essentiellement fondée sur les sacro-saintes analyses ex-post, a cruellement montré ses limites