Chookiat Ophaswongse, président de l'Association des exportateurs de riz de Thaïlande, a la mine déconfite. Il sort d'une séance de travail avec un ministre gambien venu exprès à Bangkok pour acheter du riz. Ne pouvant offrir le prix du marché, c'est-à-dire 1200 dollars la tonne, il est reparti les mains vides. «Je conseille aux Gambiens et autres Africains de consommer une autre denrée. Car le prix du riz, même s'il descend de son sommet actuel, restera à un niveau élevé», dit-il.

Avec une production de 20 millions de tonnes par année et une consommation de 10 millions de tonnes, la Thaïlande est le premier exportateur mondial de riz. Avec la flambée des prix, le secteur connaît un âge d'or. Les recettes d'exportation devront passer de 2 milliards de dollars entre 2003 et 2006 à 2,6 milliards entre 2007 et 2011.

«Mais nous n'en avons pas pleinement profité, fait comprendre Chookiat Ophaswongse. Nous livrons actuellement des contrats signés au début de la saison. Le prix tournait alors entre 500 et 700 dollars la tonne.» Il affirme que plusieurs entreprises d'exportation qui doivent acheter à prix fort sont menacées de faillite.

A la tête d'une organisation paysanne dans la province rizicole d'Ubon Rachastani, Montri Gosalawat estime que les petits paysans n'en profitent pas non plus. «Ils vendent leurs récoltes en avance au début de la saison. Souvent, ils les mettent en gages contre des dettes contractées auprès des intermédiaires», explique-t-il. Il fait aussi remarquer que les coûts de production - fertilisants, transport - n'arrêtent pas d'augmenter.

«Les vrais gagnants de la flambée des prix sont les intermédiaires locaux et étrangers ayant la possibilité de constituer des stocks et de vendre lorsque les prix sont élevés», poursuit Montri Gosalawat. Pour Chookiat Ophaswongse, les prix actuels ne reflètent pas la réalité du marché. Ils sont le résultat de la spéculation de la part des investisseurs en quête de gains rapides.

Production industrielle

C'est sans doute l'instabilité du marché qui a donné l'idée au premier ministre thaïlandais, Samak Sundaravej, de constituer un cartel du riz en Asie, sur le modèle de l'Organisation des exportateurs de pétrole (OPEP). Selon lui, la Thaïlande et le Vietnam voisin, qui à eux seuls totalisent 50% des exportations mondiales, pourraient ainsi contrôler le marché.

«Le projet d'un cartel du riz a été avancé par le premier ministre, qui ne connaît rien de cette industrie, s'insurge Chookiat Ophaswongse. L'Association des exportateurs y est opposée. Par contre, une organisation qui facilite le partage des technologies, des logistiques et des informations ne serait pas de trop.»

Le chef exportateur estime que le riz constitue une carte maîtresse pour le pays. «L'Etat ne devrait pas s'intéresser uniquement à ce qu'il pourrait encaisser auprès des producteurs, mais aider ces derniers à augmenter la production», dit-il. Montri Gosalawat abonde dans le même sens. «Seulement 22% de la terre cultivable est actuellement irriguée. Avec un système moderne et plus étendu, nous pouvons tripler la production», dit-il.

La modernisation de l'industrie du riz fait en effet l'objet de beaucoup de débats. Certains responsables pensent à des investissements massifs, à la transformation de petits lopins de terre en grandes exploitations industrielles et à l'introduction des technologies agricoles. C'est dans ce contexte que des hommes d'affaires d'Arabie saoudite, l'un des grands importateurs mondiaux, ont proposé d'investir massivement en Thaïlande.