Tout le monde connaît Stöckli et Nidecker, fers de lance de l’industrie du ski et du snowboard en Suisse. Ou tout du moins de ce qu’il en reste. Ce que l’on sait moins en revanche, c’est qu’à côté de ces deux poids lourds subsistent de petites marques, souvent de niche, qui essaient de se tailler une part du gâteau dans un marché hyper concurrentiel qui a fortement baissé ces dernières années.

Mieux encore, de nouvelles marques font leur apparition. C’est le cas, notamment, de West Snowboarding lancée en 2013 par trois amoureux de la glisse. «On avait tous le même rêve d’ado, explique David Lambert, ancien pro-snowboarder. Créer notre propre marque.»

Les trois amis avaient aussi déjà tous un pied dans l’industrie, que ce soit dans la distribution, la vente ou le design. «On s’est dit que c’était maintenant ou jamais, poursuit ce Fribourgeois de 36 ans, que si le marché du snowboard était au creux de la vague, il allait nécessairement repartir à la hausse et qu’il fallait qu’on soit présent à ce moment-là.»

Retour aux sources

Pour David Lambert, le «passage à vide» qu’a connu le snowboard, notamment en raison de l’essor d’un ski nouvelle génération (carving, freestyle), est désormais de l’histoire ancienne. «Si le snowboard a perdu un temps ce côté exclusif qui faisait son charme dans les années 1990-2000, c’est aujourd’hui au tour du ski d’être victime de son succès», souligne-t-il. La preuve: «Mon fils de 8 ans est une star aux yeux de ses copains tous skieurs quand il monte sur sa planche.»

West prône d’ailleurs un retour aux sources. «Nous voulons revenir au plaisir de la glisse, explique David Lambert, enlever ce côté athlétique et compétitif qui a gangrené le snowboard ces dix dernières années. La grande majorité des riders font de la piste aujourd’hui, de la poudre et quelques sauts. Ils ne font pas des sauts de 25 mètres ni des barres rocheuses à Verbier.»

Avec un «design sobre» et le «soutien financier et logistique d’une compagnie de distribution suisse», les trois amis ont vendu leurs premiers modèles l’année dernière. 200 en tout, en Suisse romande surtout, mais aussi en Norvège et en Grande-Bretagne. «La sauce est en train de prendre, assure David Lambert, même si nous avons tous un job à côté pour subvenir à nos besoins.» Cette saison, ils espèrent vendre 400 planches, allant de 500 francs à 950 francs pour la split-board réservée aux freeriders.

Artisans et amoureux de la glisse

S’ils auraient bien aimé produire en Suisse, ils ont rapidement compris que ce ne serait pas possible. «Il n’existe plus d’unité de production, explique-t-il. Quant aux petits artisans, ils ne peuvent guère fabriquer plus de 60 snowboards par année.» Du coup, West Snowboarding s’est tourné vers une usine en Tunisie.

Des petits artisans, il en existe toutefois encore quelques-uns en Suisse. Reto Nieger en fait partie. Installé à Interlaken, il a construit sa première presse avec des matériaux recyclés en juin 2010 pour en sortir, six mois plus tard, sa première planche. Aujourd’hui, il en fabrique une soixantaine par année pour sa marque Zensnow, du «sur-mesure» allant de 1250 à 2500 francs. Il produira même, l’année prochaine, une édition limitée 100% Suisse pour le compte de West.

Si Reto Nieger se dit convaincu que l’on peut fabriquer de bonnes planches en Tunisie, il avoue que c’est l’a qualité de l’industrie qui l’a poussé à fabriquer ses propres snowboards. «J’ai senti qu’elle diminuait, explique-t-il. Ce qui est normal puisque ceux qui produisent en masse aimeraient que l’on achète une nouvelle planche chaque année. C’est aussi pour cela qu’ils les vendent moins cher [ndlr: on en trouve à partir de 350 francs en magasin]. Moi je veux que mes clients aient un objet unique qui leur durera des années.»

A côté de Laax dans les Grisons, deux autres «amoureux du snowboard» – et accessoirement freeriders professionnels – ont eux aussi fini par avoir du mal à s’identifier aux grandes marques actuelles et à «leur image acrobatique». L’année dernière, Nicholas Wolken et Stephan Maurer ont ainsi créé Korua Shapes. «Notre décision n’avait absolument rien de rationnelle, souligne Nicholas Wolken. Nous voulions simplement proposer quelque chose de différent à ceux qui ont envie de rider de la poudreuse en douceur, comme l’on surfe une vague.»

Dynamiser le marché

Leurs planches, dont le prix oscille entre 400 et 699 euros, présentent ainsi des profils très affinés, parfois asymétriques. La fabrication se fait là aussi à l’étranger, en Pologne depuis qu’une usine a fermé en Autriche. «Si vous produisez en Suisse vous n’avez aucune chance de vendre des snowboards à un prix concurrentiel face aux grands acteurs du marché», conclut Nicholas Wolken.

D’ailleurs, même du côté de Nidecker on ne produit plus en Suisse depuis 2013. Mais en Autriche, en Tunisie ou à Dubaï. Le groupe vaudois, qui vend 80 000 planches chaque année, assure voir d’un bon œil l’arrivée de «petites marques très performantes». «Elles participent à dynamiser le marché», explique le responsable marketing Thierry Kunz. Nidecker a d’ailleurs créé plusieurs marques ces dernières années: Jones Snowboard pour le freeride ou encore Yes Snowboard pour le freestyle.

«Plutôt que d’être généraliste et d’essayer de se battre contre des grands groupes comme Décathlon, nous avons décidé de nous spécialiser et de proposer du haut de gamme», indique Thierry Kunz. Une stratégie qui, selon lui, s’est avérée payante. «Si Nidecker est parvenue à maintenir ses ventes constantes, les autres marques du groupe affichent une croissance à deux chiffres», poursuit-il sans livrer davantage de précisions sur les chiffres.

Le ski aussi

Le monde du ski en Suisse a lui aussi vu de nouveaux acteurs émerger ces dernières années. Si Movement, le numéro deux derrière Stöckli, n’est plus à présenter, d’autres marques, souvent moins connues du grand public, ont vu le jour. C’est le cas de Faction. Fondée en 2006 par un Américain et un Australien installés à Verbier – «la Mecque du freeride» – cette dernière a rapidement grandi. Elle emploie désormais 19 personnes à plein-temps et prévoit de vendre 13 000 paires de ski cette saison, de 399 à 749 francs, pour un chiffre d’affaires de 4 millions de francs. Contre 50 000 paires pour Stöckli.

«Dans un secteur où 6 fabricants se partagent 90% du marché, il nous a semblé qu’il y avait de la place pour faire mieux, souligne Alex Hoye, directeur et cofondateur de Faction. Et surtout pour donner davantage d’importance à l’innovation.» Si le design et le marketing sont gérés depuis le Chablais, les skis sont là aussi fabriqués à l’étranger, en Pologne et en République Tchèque. «L’image de Verbier est très importante pour nous, précise toutefois Alex Hoye. C’est le cœur du freeride. C’est aussi ici que sont les talents, que ce soit les riders ou les photographes.»

Pour Faction, qui s’est tout de suite orienté vers l’international (Etats-Unis, France, Grande-Bretagne), l’idée n’est pas de fabriquer 400 000 paires par année. Mais Alex Hoye ne veut pas non plus rester une marque de niche. «Il y a beaucoup de petites marques qui survivent en vendant quelques centaines de paires par année, souligne-t-il. Mais pour qu’une affaire soit fructueuse, il faut des connaissances techniques, un circuit de distribution global permettant de réaliser des économies d’échelles, des compétences financières et, par-dessus tout, de l’authenticité.» Autant d’ingrédients qui nécessitent des moyens.

L’authenticité

L’authenticité, nul doute que Simon Jacomet en met dans la fabrication de ses skis. En 2003, après avoir notamment travaillé pour Salomon, il a fondé Zai («résistant» en romanche) dans son village de Disentis (GR). «Nous voulions faire les choses d’une autre façon», explique-t-il lui aussi, tout en rappelant qu’à l’époque il n’y avait pas vraiment de marques de niche.

Pour Zai, la différence se fait sur la qualité. Une petite équipe de 14 personnes produit entre 800 et 1000 paires par années. Du très haut de gamme – entre 3300 et 10 000 francs la paire (fixations, bâtons en carbone et sac à dos inclus) – qui allie les meilleurs matériaux dans un savant mélange gardé secret. Tout est fabriqué en Suisse. «Un gage de qualité à la fois pour nos clients suisses, mais également pour nos clients étrangers», constate Simon Jacomet.

En Suisse comme au-delà des frontières, le «made in Switzerland» restera toujours un argument de vente, confirment nos interlocuteurs qui espèrent tous qu’un jour, il sera à nouveau possible de produire en quantité sur place.