Les analystes financiers qui suivent le secteur bancaire avaient inscrit la date du 21 octobre 2015 dans leur agenda il y a bien longtemps. Tous attendaient avec une certaine impatience de connaître les grandes lignes de la nouvelle stratégie du Credit Suisse version Tidjane Thiam. A l’heure du verdict, mercredi en fin de matinée, certains se montraient enthousiastes, d’autres moins.
La première question qui taraudait les observateurs ces dernières semaines était de savoir à combien s’élèverait l’augmentation du capital voulue par la grande banque. Si les rumeurs évoquaient des montants allant jusqu’à 7 à 8 milliards de francs, Credit Suisse a finalement opté pour une hausse de 6,05 milliards.
Pour Damien Lanternier, gérant de fonds auprès de La Financière de l’Echiquier, cette augmentation du capital est toutefois «entièrement suffisante». «Elle va permettre à Credit Suisse de tirer un trait sur son problème de ratio de fonds propres et, ainsi, de pouvoir se concentrer sur la croissance organique et sur ses activités les plus lucratives», explique-t-il.
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De son côté Loïc Bhend, analyste chez Bordier & Cie, se montre plus prudent. Selon lui, cette levée de capital est «le minimum syndical» puisqu’elle permettra de porter le ratio de levier de la banque à 3,6% seulement, contre 3,5% exigé par les autorités helvétiques. «Avec un ratio de fonds propres de 12,2% qui en résulte, soit dans le bas de la nouvelle fourchette d’objectif (entre 12% et 13%), Credit Suisse n’aura a priori pas beaucoup de marge pour redistribuer à ses actionnaires», prévient-il.
L’analyste genevois se dit également déçu par le deuxième chantier de Credit Suisse, à savoir celui qui concerne sa banque d’affaires. «La réduction de la banque d’investissement apparaît comme plus mesurée qu’attendu, explique-t-il. C’est d’ailleurs davantage une dilution au sein des autres divisions de l’établissement qu’une véritable réduction.»
N’en demeure pas moins que, selon les analystes, le plan d’économies de 3,5 milliards de francs sur trois ans devrait concerner, en grande partie, sa banque d’affaires. «En ayant pour but de ramener ses dépenses brutes dans une fourchette comprise entre 18,5 et 19 milliards de francs d’ici trois ans, Credit Suisse ne fait que revenir à la même base de coûts récurrents qu’en 2014, prévient toutefois Loïc Bhend. Et ainsi, tout au plus, annihiler la flambée qu’elle a enregistré sur les neuf premiers mois de l’année 2015.»
Des nouveaux objectifs atteignables?
De plus, Loïc Bhend émet des doutes quant à la capacité qu’aura Credit Suisse à atteindre ses nouveaux objectifs. Et notamment celui de doubler ses bénéfices opérationnels dans la région Asie-Pacifique pour atteindre 2,1 milliards de francs à l’horizon 2018. «La part de marché de Credit Suisse dans cette région est déjà importante et la concurrence féroce», précise-t-il.
Damien Lanternier se montre moins sévère avec la banque. Il se réjouit ainsi qu’elle ait choisi de recentrer ses activités de gestion de fortune sur la Suisse, l’Asie et les pays émergents. «Ce sont des activités bien plus stables que celles qui relèvent de la banque d’investissement», explique-t-il. Quant à l’objectif d’y réaliser des bénéfices avant impôts de l’ordre de 6,5 milliards de francs d’ici à 2018, Damien Lanternier le juge tout à fait atteignable. «Tidjane Thiam est un homme sérieux et crédible, poursuit-il. Qui avait fait de l’épargne en Asie le coeur de sa stratégie quand il était chez Prudential. Je ne doute pas qu’il puisse réussir à nouveau à la tête de Credit Suisse, ni qu’il saura s’entourer des gens compétents pour le faire.»
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Un avis que semblent partager les analystes de J. Safra Sarasin qui conseillent désormais aux investisseurs d’acheter l’action Credit Suisse. «Le repositionnement de la banque est crédible à nos yeux, expliquent-ils tout en précisant que les bénéfices annuels de la banque, à l’avenir, pourraient dépasser les 6 milliards de francs.
Quant à Laurent Bakhtiari, analyste chez IG (Suisse), il souligne que c’était pour Tidjane Thiam «le moment où jamais pour prendre de telles mesures, aussi drastiques soient-elles.» Et de conclure: «Cela peut paraître dramatique, mais [Tidjane] Thiam ne fait rien d’autre que ce qui aurait dû être fait il y a bien longtemps par [Brady] Dougan: développer des activités profitables, s’étendre en Asie et réduire les activités au levier important.»
Éditorial: «Credit Suisse prend enfin le virage de l'après-crise»