Le jeudi 12 mai, Le Temps et Le Journal de l’Immobilier coorganisent leur premier Forum Immobilier, à Crissier. Un rendez-vous qui, à la différence de nombreux autres événements sur le thème du logement, s’adresse directement aux non-initiés que nous sommes tous.
Détails et inscriptions: events.letemps.ch/immobilier

Le chiffre fait la fierté de Simonetta Sommaruga: en février, 200 000 panneaux solaires ont été posés en Suisse. La conseillère fédérale chargée du Département de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication a annoncé dans la foulée de nouvelles mesures fiscales ciblant les constructions qui incluent le photovoltaïque. Les poses dans le cadre de rénovations sont déjà déductibles.

Le temps presse: la Suisse doit viser la neutralité carbone en 2050, selon le vœu du parlement. Or, le bâti génère une grosse part des émissions de gaz à effet de serre (60% dans le canton de Genève). Les élus ciblent donc l’immobilier pour assainir l’atmosphère et atteindre les buts fixés.

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L’impact de la guerre en Ukraine

A Genève, le Conseil d’Etat vient de présenter un outil pour contraindre les propriétaires à rénover leurs biens afin de les rendre moins gourmands en énergie. L’indice de dépense de chaleur maximum, qu’ils ont l’obligation de calculer, n’est plus fixé à 800 mais à 450. Ce seuil abaissé va faire en sorte que près de 60% des objets (villa individuelle, bâtiment administratif, immeuble locatif) seront hors des clous fixés par la loi, contre 3% aujourd’hui. La course aux solutions moins énergivores est lancée.

La guerre en Ukraine accentue le phénomène. Elle a multiplié le coût de l’énergie au point que «le solaire est désormais perçu comme une bonne solution pour sécuriser le prix d’approvisionnement» par les industriels comme par les privés, constate Lionel Perret, directeur énergies renouvelables de Planair, société d’ingénieurs-conseils en énergie et environnement.

Cet entrain va se heurter à une réalité que les professionnels du bâti subissent déjà: une double pénurie sévère. On connaît celle qui frappe le matériel. Le choc de la demande à la sortie de la pandémie mondiale de covid a notamment englué le marché mondial des semi-conducteurs, ces composants nécessaires à la fabrication de tous les appareils électroniques. Le fait que la Chine, très entravée depuis deux ans, produise près de 90% des panneaux solaires n’arrange rien.

Une tare suisse

La Suisse est également frappée d’une autre tare: le manque de main-d’œuvre. Les besoins du secteur énergétique peuvent être estimés à 300 000 personnes. «C’est dramatique, confirme Stéphane Genoud, professeur responsable du management de l’énergie à l’Institut entrepreneuriat & management de la HES-SO Valais-Wallis. Cela fait des années qu’on le crie, en vain. La situation n’est pas digne d’un pays responsable. C’est comme pour les infirmières, on va les voler chez nos voisins. Il est évident que ce manque va ralentir la transition énergétique en Suisse.»

Aucune formation réunissant toutes les compétences nécessaires à l’installation de panneaux photovoltaïques (couvreurs, électriciens, ferblantiers) n’existe pour l’heure. Une filière, sous l’égide de Swissolar, l’association des professionnels du solaire, est bien en cours d’élaboration. «Mais les premiers diplômes ne seront délivrés que dans plusieurs années», regrette Stéphane Genoud.

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Lionel Perret est moins alarmiste. Il juge que le marché suisse «n’est pas encore entré dans la phase la plus critique» concernant le personnel. «Le covid, explique-t-il, a généré un phénomène de reconversion professionnelle, notamment de personnes qui étaient en emploi saisonnier. Lorsqu’on accélérera encore le rythme des poses, comme il est nécessaire pour atteindre les buts fixés, la pénurie de main-d’œuvre se fera durement ressentir.»

«La grosse artillerie»

Un autre problème vient entraver ce marché en plein boom. «Au pays des banques, il n’existe aucune solution de leasing pour la pose de panneaux solaires», rappelle Stéphane Genoud. Pour financer cette opération, les propriétaires sont contraints d’utiliser «la grosse artillerie» que représente une cédule hypothécaire, image le professeur en référence aux coûts de mise en place de cette solution juridique.

La Suisse est également un pays des locataires. Ils représentent 70% de la population. Là aussi, la transition énergétique a des conséquences très pratiques. Le passage d’un chauffage par chaudière à une solution de type solaire impose une modification des contrats de bail. Autant d’occasions pour les locataires de s’y opposer, souligne Stéphane Genoud. La revente de courant au locataire par le propriétaire devenu producteur d’énergie n’est pas non plus sans poser de problèmes juridiques. Sans parler de l’investissement. S’il ne peut pas le récupérer, par une hausse de loyer, le propriétaire sera tenté de ne rien faire. «Sans solution rapide pour régler ces questions, on va rater la cible», prévient le professeur.

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La taille des immeubles représente enfin un défi inattendu. A la fin de l’année 2019, 43% des grandes toitures disponibles dans le canton de Vaud étaient déjà couvertes en panneaux solaires. On estime que cette statistique dépasse aujourd’hui les 50%. Or, «les petites toitures posent des problèmes de rentabilité», relève Gérard Greuter, responsable du Service construction durable à Retraites Populaires. Via l’immobilier, les caisses de pension se sont frottées à la transition énergétique depuis plusieurs années. Cette dernière impose là aussi de nouvelles logiques.

Retraites Populaires a ainsi collaboré avec un prestataire externe pour évaluer le potentiel global des toits de leurs biens immobiliers. «Nous souhaitons atteindre une rentabilité moyenne sur l’ensemble de notre patrimoine», ajoute le responsable. Sur les 600 biens, deux tiers ont «un bon potentiel» et un tiers des immeubles de cette catégorie «ont une rentabilité positive», selon Gérard Greuter. Mais lorsque l’état de l’immeuble impose de gros travaux pour un changement de toiture ou lorsqu’un rehaussement est possible, alors la question du photovoltaïque devient moins prioritaire, souligne-t-il.