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Pourquoi On Running et Roger Federer n’ont pas choisi la bourse suisse

ANALYSE. SportRadar mardi, On Running mercredi. Les start-up suisses snobent Zurich au profit de New York pour faire leur entrée en bourse. Avec le programme Sparks, SIX Group espère freiner cet exode. Pour un temps en tout cas

L'entreprise On Shoes espère lever plus de 600 millions de dollars mercredi en entrant en bourse. Elle doit une grande partie de sa notoriété à la présence de Roger Federer parmi ses actionnaires. — © ALEXANDER COGGIN/The New York Ti/Redux/laif
L'entreprise On Shoes espère lever plus de 600 millions de dollars mercredi en entrant en bourse. Elle doit une grande partie de sa notoriété à la présence de Roger Federer parmi ses actionnaires. — © ALEXANDER COGGIN/The New York Ti/Redux/laif

Cette année, Roger Federer a dû faire l’impasse sur Flushing Meadows. Qu’importe, puisque le champion suisse de tennis revient ce mercredi à New York par une autre grande porte, celle de Wall Street. La société On Running dans laquelle il a investi un montant resté secret va faire son entrée en bourse (IPO). Elle a choisi le New York Stock Exchange, espérant y lever quelque 650 millions de dollars (600 millions de francs), ce qui devrait la valoriser à environ 5,5 milliards de dollars.

Avant elle, mardi, une autre start-up alémanique, SportRadar, a sonné la célèbre cloche du Nasdaq. Bien plus discrète que la fabricante zurichoise de chaussures de course, cette société saint-galloise s’est taillé en vingt ans une place de choix dans le monde du sport en analysant des données qu’elle met par exemple à disposition pour des paris en ligne. Elle a également mis au point un système de détection des fraudes prisé des organisateurs d’événements sportifs. Le marché apprécie sa recette: SportRadar a engrangé quelque 600 millions de dollars et pèse désormais 8 milliards de dollars à la bourse. Il s’agit de la valorisation suisse la plus élevée de ces dix dernières années, lors d’une IPO.

Exode

Outre leurs introductions quasi concomitantes, les deux entreprises ont pour point commun d’avoir jeté leur dévolu sur la même bourse américaine. Avant elles, Sophia Genetics, basée à Rolle, en a fait de même en juillet, tout comme une autre vaudoise, ADC Therapeutics en 2020. HEIG, le producteur zurichois de tissus fonctionnels, a, lui, cédé en décembre dernier au chant des sirènes londoniennes.

Qui est On Shoes? Sosie économique de Federer, On Running serait sur le point d’entrer en bourse

Si vous doutez encore du problème d’attractivité de la bourse suisse aux yeux de la jeune garde technologique, sachez qu’il y a une semaine, la start-up tessinoise Energy Vault a décidé d’unir son destin à un SPAC américain. Celle qui veut révolutionner la fabrication du béton a ainsi imité la biotech bâloise Roivant Sciences qui a choisi en mai une voie similaire pour réaliser son IPO. Profitant de l’abondance de liquidités sur les marchés financiers, les Spécial Purpose Acquisition Companies (SPAC) ont proliféré aux Etats-Unis. Surnommées «coquilles vides» sur les marchés financiers, ces sociétés cotées en bourse n’ont pas d’activité économique et cherchent des entreprises prometteuses avec lesquelles elles vont fusionner.

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Interpelée plusieurs fois par Le Tempssur le dédain que les start-up helvétiques semblaient lui porter, la société SIX Group qui exploite la bourse suisse a toujours botté en touche. Pourtant, dans l’ombre, elle préparait sa riposte, annoncée en juillet: Sparks n’est désormais plus seulement le nom d’un célèbre groupe de rock américain des années 1970, mais aussi celui du programme qui doit permettre dès le 1er octobre aux PME et aux start-up suisses de financer leur croissance.

Un marchepied pour les start-up

Le programme Sparks aurait-il convenu à On Running ou à SportRadar? Oui et non, répondront les experts. Employant respectivement 880 et 2100 personnes, ces entreprises nourrissent aujourd’hui des ambitions planétaires qui disqualifient la bourse suisse. Mais elles auraient très bien pu transiter il y a quelques années par ce nouvel instrument destiné à des sociétés d’une capitalisation boursière de 500 millions à 1 milliard de francs.

En offrant des conditions d’éligibilité plus souples (un capital privé de départ exigé de 12 millions de francs plutôt que 25 millions, 15% du capital coté contre 20% sur le marché principal) pour donner davantage de marge de manœuvre aux fondateurs de l’entreprise, le programme Sparks vise deux catégories d’entreprise: les PME établies souhaitant passer la vitesse supérieure et les jeunes pousses en recherche de fonds de croissance.

Alors que certains médias alémaniques signalaient que cette nouvelle offre avait été ficelée (et validée par les autorités financières suisses) en un temps record, on peut plutôt s’étonner que dans le pays de PME qu’est la Suisse, il ait fallu tant de temps pour proposer un tel outil. Actif dans sept pays dont la France, l’Italie et les Pays-Bas, l’opérateur Euronext a, lui, pris les devants bien plus tôt. Baptisé Euronext Growth, son marché destiné aux petites capitalisations compte 1120 recrues et a vu 260 sociétés de taille moyenne y réaliser une IPO ces cinq dernières années. En août dernier, la vaudoise Astrocast et ses nano-satellites de télécommunication ont par exemple choisi cette voie pour se coter à Oslo, l’une de ses places boursières.

Un marché européen trop fragmenté

Faisant ouvertement de l’œil aux entreprises suisses, Euronext a fermé ce printemps son bureau zurichois, préférant piloter ses activités sur le marché suisse à distance. Le signe d’un manque d’intérêt? Pas forcément puisqu’une dizaine de sociétés helvétiques s’étaient annoncées en début d’année pour suivre son programme de préparation à l’IPO.

Une partie d’entre elles pourraient à l’avenir faire étape à Zurich avant de traverser l’Atlantique et d’opter par exemple pour une cotation américano-suisse comme le fait Logitech.

Car même si Euronext progresse, le véritable talon d’Achille de l’Europe, c’est de ne pas disposer d’un énorme marché homogène et liquide comme celui des Etats-Unis. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: en 2020, 300 entreprises ont rejoint le Nasdaq pour lever au total près de 78 milliards de dollars. Dans le même temps, le principal opérateur européen accueillait 90 sociétés engrangeant ensemble un peu moins de 8 milliards de dollars. Quant à la bourse suisse, elle observait l'arrivée de seulement deux nouvelles entreprises.

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La raison sociale du fabricant de chaussures de course a été rectifiée. Il s'agit d'ON Running et pas d'ON Shoes comme initialement mentionné.