Droits humains
L’opinion se montre plus favorable à l’initiative sur les multinationales responsables depuis la crise sanitaire, selon un double sondage mené par des chercheurs lausannois. Ils prévoient de refaire au moins un pointage d’ici à la votation, prévue le 29 novembre

Légitime et pertinente. C’est le statut que semble avoir acquis l’initiative sur les multinationales responsables au fil du temps, depuis son lancement en avril 2015. Porté par les révélations de scandales impliquant des entreprises d’extraction de matières premières, amplifié par les manifestations climatiques, conforté par la multiplication des démarches sociétales et environnementales des entreprises elles-mêmes, le texte a conquis une place de premier rang dans le débat public. A quelques mois de son passage dans les urnes le 29 novembre, l’initiative s’est attiré encore davantage les faveurs de l’opinion pendant la pandémie de Covid-19.
Lire également: Quand les multinationales se font les chantres de l’écologie
C’est ce qui ressort d’un double sondage publié mercredi par des économistes du centre E4S – Enterprise for Society, un projet conjoint de l’EPFL, l’Université de Lausanne et l’IMD, qui ambitionne de mener à un système économique durable. L’enquête a été conduite en ligne une première fois en janvier, puis début mai, auprès de 130 partisans et 136 opposants au texte des initiants, recrutés par le biais de l’institut de marché Intervista. Les chercheurs leur ont demandé leur avis personnel sur la pertinence de l’initiative et proposé de choisir parmi six arguments «pour» et six «contre», fréquemment avancés dans les débats.
«L’initiative a dans l’ensemble gagné en légitimité aux yeux de l’opinion, quant à l’importance et au rôle des entreprises en matière de droits humains», constate Anna Jasinenko, l’une des autrices de l’étude. Près d’un tiers des participants ont un jugement plus positif sur le texte qu’avant la pandémie. A l’inverse, 15,8% des sondés jugent l’initiative moins pertinente.
Crise révélatrice d’inégalités
«L’une des explications pourrait être que la crise a été d’une ampleur telle, survenant partout au même moment, qu’elle a mis en évidence de manière parfois dramatique les inégalités sociales, notamment dans l’accès aux soins ou aux denrées de base», suggère la chercheuse. De quoi peut-être susciter auprès des populations mieux loties, comme en Suisse où les institutions et le soutien étatique fonctionnent, un sentiment de solidarité similaire à celui observé lors de catastrophes naturelles, ajoute-t-elle.
Parmi les opposants, 39% ont une opinion plus favorable qu’avant la crise sanitaire. En particulier, l’argument selon lequel l’initiative mettra en danger l’économie et les emplois en Suisse a perdu du terrain, avancé par 51% des opposants en mai, contre 68% en janvier. L’argument «contre» le plus fréquemment utilisé (63%, contre 65% en janvier) est celui critiquant «l’impérialisme juridique» que conférerait l’initiative à la Suisse par rapport aux autres législations.
A ce sujet: Multinationales responsables: le parlement est incapable de trancher
Parmi les arguments «pour» les plus populaires figurent la nécessité de préserver la réputation de la Suisse (61%, inchangé) et le fait que la protection de l’environnement et des droits humains est un devoir, pas une option (57%, contre 55% en janvier).
A l’épreuve de la récession
Dans l’ensemble, les opinions sont moins polarisées qu’avant la pandémie, constate la chercheuse: environ 80% des sondés s’accordent à dire que les entreprises ont une responsabilité à contribuer au bien commun. La même proportion estime qu’en temps de crise elles devraient se montrer plus sobres dans la rémunération de leurs dirigeants et de leurs actionnaires. «Cette période d’intenses bouleversements a ébranlé de nombreuses certitudes. C’est une occasion unique pour inclure davantage les droits humains dans la reconstruction», souligne Anna Jasinenko.
Lire aussi: Pourquoi cette crise menace davantage l’emploi
Cet élan favorable résistera-t-il aux menaces croissantes sur le marché du travail que fait planer la récession mondiale? L’étude montre que plus la population se montrait inquiète pour son emploi, plus le sujet de la responsabilité des entreprises perdait en pertinence à ses yeux. Les chercheurs prévoient d’effectuer au moins un nouveau pointage d’ici au 29 novembre, date de la votation sur l’initiative et son contre-projet.