Logistique fragile
Ce système montre aujourd'hui des failles. Les échanges, fonctionnant à flux tendus, sont entravés. Au niveau mondial, le transport de marchandises se poursuit, mais à un rythme ralenti en raison de contrôles accrus aux frontières. En outre, certains pays comme le Kazakhstan, la Russie, l'Ukraine ou encore le Vietnam, producteurs de blé et de riz pour ce dernier, limitent voire interdisent les exportations, sur fond de nationalisme croissant.
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De sorte que les distributeurs ont bien du mal à apaiser les achats de panique de leurs clients en affirmant disposer de tout, en quantités suffisantes. Ils restent en outre à la merci d'un grain de sable dans les échanges, y compris dans leur propre logistique: pour gagner en efficience, stockage et livraison sont centralisés dans d'immenses entrepôts où travaillent parfois plusieurs milliers de personnes; des observateurs se demandent ce qu'il adviendrait si des cas de virus venaient à s'y déclarer.
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«S'il y a un revers à la médaille, nous sommes en plein dedans», constate Jacques Bourgeois, conseiller national (PLR/FR) et directeur sortant de l'Union suisse des paysans (USP). C'est d'autant plus problématique que la Suisse est un pays importateur net, donc peu autonome: son taux d'auto-approvisionnement, soit sa capacité à se fournir en nourriture en ne comptant que sur sa production indigène, oscille invariablement depuis les années 1990 entre 50 et 60%, en fonction des récoltes, selon les données de l'USP. C'est bas comparé aux voisins comme l'Allemagne (plus de 80%) et la France (110%).
Ainsi, après une année défavorable aux cultures, comme en 2018, près d'un aliment sur deux présents dans notre assiette dépendait de l'étranger. De chez nos voisins européens (75%), justement, qui n'ont heureusement pas imposé à ce stade de restrictions à l'exportation d'aliments, comme cela a été fait pour du matériel médical de protection.
Facteur de sécurité individuelle et collective
«La pandémie montre à ceux qui l'auraient oublié que l'agriculture et l'industrie agroalimentaire contribuent à la sécurité individuelle et collective», observe de son côté Sébastien Abis. Au même titre que la santé et l'énergie, insiste le chercheur, spécialisé en géopolitique de l’agriculture et de l’alimentation à l'IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques).
Peut-on dès lors imaginer que cette crise pousse nos autorités à renforcer la production indigène? A privilégier les circuits courts, que diverses associations – Uniterre, mais aussi l'USP ou encore la Fédération des industries alimentaires suisses – appellent de leurs voeux? Pas si simple. Principalement en raison du facteur démographique, avec une population vieillissante, qui devrait franchir le seuil de 10 millions d'habitants en 2040. Des personnes qu'il faudra nourrir, mais aussi loger, sur un territoire limité, dont un quart seulement est disponible pour l'agriculture. C'est d'ailleurs ce qui rend la Suisse si peu autonome au plan alimentaire.
Repenser aussi sa consommation
Or, deux tiers de cette surface agricole utile servent à l'élevage, que ce soit sous forme de pâturages ou de production de fourrages. L'une des pistes pour gagner en surface cultivable serait de convertir une partie de cette production animale en production végétale. Parallèlement aux progrès technologiques qui pourraient permettre des gains en efficience.
L'avenir de notre sécurité alimentaire dépendra ainsi d'une refonte de notre système d'approvisionnement – un aspect dont la Confédération devra sans doute tenir compte dans sa politique agricole 2022. Mais si nous voulons consommer local, nous devrons à terme aussi faire des choix plus drastiques quant à notre alimentation.