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Paralysé en France par une grève, SAirGroup boit la tasse en Bourse

Les syndicats des trois compagnies tricolores contrôlées par le groupe suisse s'opposent à la restructuration. Le marché sanctionne la stratégie de Philippe Bruggisser

Avec 16% de baisse cette année, le titre SAirGroup, qui ne valait déjà pas cher en 1999, est peut-être devenu une affaire aux yeux de certains investisseurs. C'est la seule explication au timide rebond enregistré vendredi (+3 francs à 272), alors que la grève déclenchée par les syndicats d'Air Liberté, AOM et Air Littoral (les trois compagnies contrôlées par le groupe suisse) paralysait une majeure partie de leurs opérations. Car le marché fait montre d'un grand scepticisme à l'égard de la stratégie de Philippe Bruggisser, le patron de SAirGroup. Celui-ci cherche à consolider l'alliance Qualiflyer Group en multipliant les prises de participation dans des compagnies secondaires en Europe, mais son ratio d'endettement devient préoccupant. «Avec la résistance syndicale qui caractérise la France, il risque de se retrouver avec trois compagnies fragmentées, fortement déficitaires, et aucune réduction de coûts», prévient un analyste londonien. Désormais, Philippe Bruggisser s'est résolu à chercher aussi l'adossement de son groupe à une alliance mondiale, et la pression des actionnaires risque de lui imposer ce pas plus vite que prévu.

L'exercice 2000 s'annonce encore plus mauvais

Vendredi, l'appel à la grève lancé par l'intersyndicale a été très bien suivi dans deux des trois compagnies: ainsi, Air Littoral a dû se résoudre à annuler la totalité de ses 130 vols quotidiens, alors qu'Air Liberté n'en assurait que 10%, supprimant toutes ses liaisons sur son hub d'Orly. AOM a pu maintenir ses vols moyen-courriers et une fréquence sur Zurich. Malgré une rencontre organisée mercredi entre Philippe Bruggisser et quelque 70 délégués syndicaux, le ton n'est pas à la conciliation chez les représentants du personnel: «Les explications de Philippe Bruggisser ne nous ont pas rassurés, au contraire, estime Hervé Alexandre, de la CFDT. Il n'a pas répondu aux questions concrètes des gens. Or, si l'on additionne les activités des trois compagnies à celles de Swissair en France, on obtient de nombreux doublons, et le groupe voudra trouver des synergies.» Le syndicaliste est d'autant plus inquiet que les trois compagnies ont fait une perte cumulée de 840 millions de FRF l'an dernier (un peu plus de 200 millions de francs suisses), et que les dirigeants de SAirGroup ne cachent pas que l'exercice 2000 s'annonce encore plus mauvais. Pour les syndicats, 1000 à 1500 emplois sont menacés.

Mais ce qui énerve le plus les syndicalistes français, c'est que le plan dévoilé par le patron du groupe suisse conduise au «démantèlement» et au «saucissonnage» des trois compagnies. En effet, selon les principes qui ont conduit la politique de SAirGroup ces derniers mois, une holding baptisée Airline Management Company France (AMCF) chapeautera toutes les activités des sociétés proches du groupe suisse en France: les opérations de vol, le réseau, la maintenance et l'informatique. «Puis, dès l'entrée en vigueur des accords bilatéraux, tout passera sous le contrôle direct de l'Airline Management Partnership, la structure qui chapeaute les opérations de Swissair et Sabena, avance un syndicaliste français. Tout le monde sera interchangeable, délocalisable. C'est du pillage culturel, et non pas la création d'une forte compagnie française…»

«Il nous a parlé comme à des actionnaires»

Philippe Bruggisser a pourtant tenté de calmer le jeu. Dans une note au personnel dont le contenu est parvenu au Temps, il a déclaré que «ce rapprochement doit générer de la croissance […] garantissant la pérennité des emplois», ajoutant que «toute solution est possible pour un retour à l'équilibre», à condition que chacun se montre «capable de se mettre à une table de négociation». Visiblement, le message n'a pas passé. «Il nous a parlé comme à des actionnaires», s'énerve un employé.

De leur côté, les investisseurs ne sont pas plus rassurés. Beat Käser, analyste chez Darier, Hentsch & Cie à Zurich, estime qu'une intégration des trois compagnies françaises est nécessaire, mais ne voit pas comment elle se réalisera: «SAirGroup serait numéro deux en France, avec 107 avions et 30% du marché à Orly. Pour séduire une alliance mondiale, c'est un signal positif. Mais les grèves à répétition risquent de retarder le tout.» D'autres questions plus fondamentales encore se posent: «Avec un gearing de près de 100%, SAirGroup ne peut plus continuer à accumuler les acquisitions, poursuit Beat Käser. Et les manœuvres comptables avec la caisse de pension ont été très mal perçues par le marché. Enfin, on se demande quelle stratégie le groupe suit dans le charter, et quand cette activité dégagera un rendement satisfaisant. Je vois le titre tomber à 250, à moins qu'une très bonne nouvelle ne survienne pour la division Airlines, comme une alliance majeure, par exemple.»

Pour Philippe Bruggisser, l'an 2000 pourrait même être l'année de vérité.