Il y a les 2 milliards promis à la mi-janvier par le géant vaudois de l’alimentation, Nestlé, ainsi que les annonces de ses concurrents britannique, Unilever, et français, Danone, de réduire de moitié leur utilisation de plastique neuf d’ici à cinq ans. Mercredi, c’était au tour de Migros d’affirmer «passer à la vitesse supérieure dans le recyclage du plastique».

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Le numéro un helvétique de la distribution collectera la plupart des emballages en plastique, dès la fin du mois, à Lucerne. Un projet étendu fin août à ses coopératives romandes, puis à l’ensemble de ses succursales d’ici au printemps 2021, a précisé le géant orange lors d’une conférence de presse à Berne, sans chiffrer les montants investis. Concrètement, le consommateur pourra acheter en caisse des sacs de collecte d’un volume de 17 à 60 litres, vendus entre 90 centimes et 2,50 francs pièce, pour y déposer cabas, films alimentaires, pots de yogourt, gobelets, barquettes et bidons de lessive usagés. Des déchets qu’il pourra ensuite déposer en magasin, dans des conteneurs prévus à cet effet, et qui seront ensuite triés et transformés en regranulats – la matière issue du plastique recyclé.

10% de plastique recyclé en Suisse

Ces initiatives de l’industrie et de la distribution constituent un signal positif, saluent de concert les milieux écologistes et les entreprises de recyclage. Car l’enjeu est de taille et nécessite l’implication de tous les acteurs: «Depuis les années 1950, jusqu’en 2015, nous avons produit plus de 8 milliards de tonnes de plastique vierge (neuf) dans le monde, dont plus de la moitié a été accumulée dans des décharges ou dispersée dans l’environnement. Le reste est en circulation (2,5 milliards de tonnes) ou a été incinéré. Seulement 7% ont été recyclés», relève Laura Peano, consultante chez le spécialiste lausannois des écobilans Quantis, citant une étude publiée en 2017 par des chercheurs américains.

«Actuellement, le taux de recyclage avoisine les 20% au niveau mondial, tandis que la production de plastique devrait quasi doubler d’ici à 2030 pour atteindre les 600 millions de tonnes», ajoute Yannick Lerat, océanographe et directeur scientifique auprès de l’ONG The SeaCleaners. En Suisse, sur 780 000 tonnes de déchets plastiques annuels, un peu plus de 10% est recyclé.

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Améliorer la composition

L’entreprise InnoRecycling (mandatée par Migros pour son projet) parvient pour l’instant avec son propre système de sacs de collecte à utiliser un peu moins des deux tiers des déchets plastiques qui arrivent dans son centre de tri, le reste est incinéré, principalement sous forme de combustible pour chauffer les fours des cimenteries, précise l’un de ses représentants. L’Office fédéral de l’environnement vise, lui, un taux de valorisation de 70%. La gamme de produits faits à partir de plastique recyclé se limite à «des flacons de détergent ou des tuyaux pour l’industrie – l’alimentaire devant répondre à des exigences sanitaires strictes», ajoute Xavier Prudhomme. Il dirige l’autre principal acteur de la filière, RC-Plast, marque du groupe Cand-Landi, basée à Grandson.

En cause, la composition complexe de certains emballages, constitués de multiples polymères et parfois d’autres matériaux, comme de l’aluminium, auxquels s’ajoutent de nombreux additifs (protection aux UV, par exemple) – au contraire du PET, filière dite mono-polymère, dont le taux de recyclage dépasse 80%. Sans oublier la présence de colorants, qui donnent une couleur gris foncé, exclusivement, aux regranulats: «Dans l’idéal, il faudrait qu’à l’avenir tous les plastiques soient transparents», demande InnoRecycling.

Dès lors, les experts plaident unanimement pour que des efforts soient désormais déployés en amont, lors de la fabrication de ces emballages, «qui devraient être conçus dès le départ pour pouvoir être recyclés», insiste Xavier Prudhomme. Un travail dit d’éco-conception, «appelé à devenir l’une des priorités de l’industrie», observe Laura Peano, et condition sine qua non «pour que le recyclage fonctionne», insiste la sénatrice verte Adèle Thorens Goumaz, autrice d’un postulat demandant la promotion de cette approche.

Le recyclage, qui conduit à remettre du plastique en circulation, n’est pertinent du point de vue environnemental que s’il s’accompagne d’objectifs de diminution de la quantité absolue de plastique consommé

Yannick Lerat, océanographe et directeur scientifique auprès de l’ONG The SeaCleaners

Migros, comme Nestlé, indique avoir dédié des équipes aux emballages qui, à chaque changement de produit ou de recette, en profitent pour en repenser le contenant – alternative au plastique (carton, verre, etc.), réduction de la quantité de matériau utilisé, simplification de la composition de l’emballage. Chez Nestlé, où le volume d’emballages plastiques a atteint 1,5 million d’unités l’an dernier (dont 2% en plastique recyclé), 79% sont signalés comme «conçus pour le recyclage», indique la multinationale.

Recycler c’est bien, diminuer c’est mieux

Au niveau de la réglementation, l’UE s’est dotée d’une directive interdisant les plastiques à usage unique. En Suisse, une initiative parlementaire visant à développer une économie circulaire a été déposée fin mai: «Si cet objet était accepté, le Conseil fédéral pourrait obliger les fabricants et les commerçants à utiliser des emballages issus de matériaux circulaires, par exemple du plastique recyclé, indique Adèle Thorens Goumaz. Il pourrait aussi créer des incitations à éviter les emballages inutiles.»

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Car «le recyclage, qui conduit à remettre du plastique en circulation, n’est pertinent du point de vue environnemental que s’il s’accompagne d’objectifs de diminution de la quantité absolue de plastique consommé», insiste Yannick Lerat. L’expert rappelle que plus de 8 millions de tonnes de plastique finissent chaque année dans les océans, soit 257 kilos par seconde. Greenpeace entrevoit de son côté le risque que la promotion du plastique recyclé n’entraîne une consommation accrue de ce matériau, induisant à tort chez le consommateur le sentiment d’une solution écologique à la crise du plastique. A l’instar des sacs dits biodégradables ou biosourcés, dont les bilans environnementaux sont pourtant controversés, ajoute Yannick Lerat.