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Le patriotisme économique européen mine la construction du marché unique

La vague d'OPA dans des secteurs comme l'énergie, l'acier ou encore la banque suscite des réactions hostiles. José Manuel Barroso demande de cesser les rhétoriques nationalistes et met en garde contre les démons de l'Etat-nation.

La colère italienne contre le projet de fusion Gaz de France-Suez ne se dissipe pas. Au contraire. Le gouvernement de Silvio Berlusconi poursuit sa croisade contre le «nationalisme économique français» et accuse son voisin d'avoir tout manigancé pour faire capoter le projet de reprise de Suez par le groupe énergétique italien Enel. Dans un mémorandum remis jeudi à la Commission européenne (CE), Rome explique en détail comment Paris a violé le droit communautaire et la presse d'intervenir. «Si la Commission ne réagit pas, qu'elle cesse ses activités pour échec dans la conduite de son mandat», a déclaré Giulio Tremonti, le ministre italien de l'Economie.

L'affaire Enel n'est que le sommet de l'iceberg qui fait dire à de nombreux observateurs que les démons de l'Etat-nation sont de retour et mettent en danger la construction du marché unique européen. Un bras de fer identique oppose Madrid et Berlin dans le cadre de l'offre publique d'achat (OPA) du groupe énergétique allemand E.ON sur l'Espagnol Endesa. Le gouvernement Zapatero est allé jusqu'à voter précipitamment des mesures législatives pour entraver l'initiative allemande. Il s'est ensuite arrangé pour que le groupe ibérique Gaz Natural fasse une contre-offre légèrement supérieure à celle de E.ON. L'Espagne ne veut pas entendre parler de surenchère allemande.

L'action française fait tache d'huile

Un troisième dossier litigieux, le projet de reprise d'Arcelor par Mittal Steel, groupe britannique basé aux Pays-Bas et dont l'actionnaire majoritaire est d'origine indienne, met aussi en exergue le protectionnisme économique qui prend racine en Europe. La France et le Luxembourg, actionnaire d'Arcelor, ont tout fait pour bloquer la fusion. Jeudi, comme pour donner un coup de grâce, Thierry Breton, le ministre français des Finances, a déclaré que les informations qui lui ont été soumises sont «clairement insuffisantes» pour donner suite au projet.

La France fourmille d'autres outils de protection. Le premier ministre, Dominique de Villepin, affirme que les intérêts français passent avant ceux des Vingt-Cinq. Il souhaite renforcer le rôle de la Caisse de dépôts et consignations comme investisseur public. Par ailleurs, le parlement a voté une liste d'activités économiques interdites aux capitaux étrangers.

Début de débat en Grande-Bretagne

L'Italie, même si elle fulmine contre la politique française, n'est pas toute blanche. L'an dernier, elle a défendu bec et ongles ses banques contre des OPA européennes. Le Portugal et la Pologne ont également pris des mesures pour protéger des entreprises nationales des capitaux étrangers.

La dérive protectionniste semble même frapper le bastion européen du libéralisme, la Grande-Bretagne. Les Echos note que le rythme des acquisitions commence à «affoler même les plus libéraux des libéraux anglo-saxons». Le quotidien français ajoute que pour l'heure, «au lieu de se draper dans l'Union Jack», ces derniers «se contentent de soulever des objections techniques et de séduire les actionnaires en augmentant les dividendes».

Mercredi, c'est le président de la CE, José Manuel Barroso, qui est monté au créneau pour exiger qu'on «arrête immédiatement la rhétorique nationaliste». Selon lui, «les Etats membres semblent se défendre les uns contre les autres. L'Europe ne peut pas progresser avec des barrières entre les Etats.»

«Ces instincts nationalistes et protectionnistes sont difficiles à concilier avec l'idée d'une intégration européenne», explique Elie Cohen, économiste français interrogé jeudi par l'International Herald Tribune. Et d'avertir que «l'Europe n'arrivera pas à faire face à la concurrence que représentent l'Inde et la Chine si elle choisit l'approche nationaliste».