Ces spéculations ne font pas que des malheureux. A la Bourse, les banques allemandes caracolent en tête des valeurs à la hausse. Les investisseurs attendent de la consolidation nationale du secteur bancaire une rentabilité accrue des établissements notés. Il faut dire que cette restructuration a pris plus de retard que partout ailleurs en Europe. Les banques allemandes souffrent de leur éclatement. La densité bancaire reste l'une des plus élevées d'Europe (voir graphique).
Une autre particularité est la part dominante dévolue aux banques publiques (banques des Länder et caisses d'épargne communales ou régionales). Ces établissements contrôlent 40% de la banque de détail; les établissements coopératifs 25%. La place laissée aux banques commerciales est marginale. La part de Deutsche Bank ne dépasse pas 7% du marché national. Un résultat qu'atteignent ensemble HypoVereinsbank et Commerzbank.
Cet éparpillement a plutôt profité à la clientèle. Le coût des services bancaires est bas, les banques se contentant de marges très faibles. En comparaison internationale, les banques allemandes travaillent trop cher. Deutsche Bank dépense 70 cents pour chaque euro gagné; Citigroup seulement 41 cents. Les récents programmes de réduction des coûts n'y ont rien changé. La médiocre rentabilité des banques allemandes se reflète dans leur valeur boursière: Deutsche Bank, no 7 mondial pour le chiffre d'affaires consolidé, ne pèse que 34 milliards d'euros à la Bourse, soit le 24e rang mondial. En comparaison, UBS a une valeur boursière de 58 milliards d'euros, et la britannique HSBC 130 milliards. Citigroup, 208 milliards d'euros de capitalisation boursière, pourrait avaler Deutsche Bank comme on engloutit son déjeuner.
«Les investisseurs étrangers sont à nos portes», vient de déplorer Ernst Breuer, le président de l'Association des banques privées allemandes. Son appel au «patriotisme bancaire» sera-t-il entendu? Le patron de Citigroup, Sanford Weill, a sondé Gerhard Schröder en personne lors d'un dîner privé à New York la semaine dernière. Le chancelier allemand n'aurait pas formulé d'objection de principe à une OPA du groupe américain sur Deutsche Bank, à une condition: Citigroup devait déménager son siège européen de Londres à Francfort. C'est du moins ce qui se murmure dans les cercles bancaires. Et comme il n'y a pas de fumée sans feu…