La médecine est devenue de plus en plus efficace. L’immunothérapie permet de traiter certains cancers qui étaient considérés comme incurables il y a peu de temps. Mais jusqu’à quand pourra-t-on profiter de ces thérapies innovantes?

Les nouveaux traitements laissent entrevoir toujours plus d’espoir aux milliers de personnes qui apprennent chaque année en Suisse qu’elles souffrent d’un cancer. Aujourd’hui, on peut survivre à un mélanome métastatique avec un traitement à plus de 100 000 francs par an. Evidemment, personne ne voudrait s’en passer. Ni les patients, ni leur famille, ni l’industrie pharmaceutique qui y voit sa nouvelle mine d’or.

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La médecine de pointe a en effet son revers de la médaille: son coût. Selon un rapport d’Helsana, les immunosuppresseurs et les anticancéreux constituent la part la plus importante des dépenses de médicaments pris en charge par l’assurance de base. En 2017, ils représentaient près d’un cinquième des coûts alors qu’ils ne comptaient que pour 1,5% des achats.

Et les dépenses en médicaments anticancéreux vont continuer d’augmenter de 5 à 10% chaque année, selon une prévision publiée dans la revue Lancet Oncology.

Jusqu’à quand les assurances de base rembourseront-elles ces traitements? S’achemine-t-on inexorablement vers une médecine à deux vitesses, avec certains patients qui pourront payer le prix fort pour être soignés et d’autres qui seront laissés à leur sort?

«Une forme de racket»

Beaucoup de professionnels de la santé s’accordent à dire que le système va exploser. Pour ne pas tendre vers le modèle britannique, ils demandent plus de transparence sur le mécanisme de fixation des prix entre les gouvernements et les industriels. Il faudrait aussi une distinction claire entre le coût de la recherche et celui de la fabrication des médicaments. Les marges sur la vente de certains anticancéreux paraissent en effet exagérées. Elles dépasseraient les 80% selon l’émission Infrarouge de la RTS.

Thierry Buclin, médecin-chef du Service de pharmacologie clinique du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et professeur à la Faculté de biologie et médecine de l’Université de Lausanne, parle de marges de profit indécentes. «Le coût de production d’un anticancéreux à petite molécule n’est guère plus onéreux que celui d’un anti-inflammatoire ou d’un antidépresseur. La rentabilité des anticancéreux est telle que les sociétés pharmaceutiques abandonnent le développement d’autres traitements où des innovations seraient bienvenues, comme des antituberculeux ou des antibiotiques, déplore-t-il. Les pharmas tiennent le couteau par le manche. C’est une forme de racket.»

On reproche aussi aux sociétés pharmaceutiques de dépenser trop d’argent en marketing, en études promotionnelles, en lobbying parlementaire ou en soutien de la formation continue des médecins.

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En face, Interpharma, l’association des entreprises pharmaceutiques suisses pratiquant la recherche, rétorque que les coûts de développement d’un nouveau médicament ont fortement augmenté, surtout en raison des exigences légales élevées en matière de sécurité. Il faut compter en moyenne huit à douze ans jusqu’au lancement d’un nouveau médicament sur le marché. Cette longue période de développement ne laisse que peu de temps aux entreprises pharmaceutiques pour amortir les coûts dans la période de protection découlant du brevet. Parallèlement, seules 5% des molécules arrivent sur le marché et les coûts de leur développement varient de 1 à 7 milliards de francs. Ainsi, les laboratoires tendent à vendre très cher leur succès pour compenser tous leurs échecs.

Prix flexible

Autre argument: avec l’arrivée de la médecine de précision, les volumes de marché se sont considérablement restreints. Le modèle des blockbusters – des médicaments qui génèrent au moins un milliard de dollars de ventes par an – ne fonctionne plus aussi bien.

Un nouveau modèle médico-économique reste à trouver. Car un anticancéreux peut s’avérer efficace pour une pathologie et moins pour une autre pour laquelle il est aussi prescrit. Or, pour le moment, le prix reste identique. Une solution pourrait consister à modifier les prix en fonction des performances. Même Joe Jimenez, l’ex-patron de Novartis, s’était dit prêt à faire un effort pour que les médicaments ne soient payés que lorsqu’ils agissent.