La réaction a été très rapide outre-Manche après le vote britannique sur le Brexit. Il y a 10 jours, George Osborne, ministre des Finances qui sera remplacé par Philip Hammond, a indiqué que l’impôt sur les sociétés serait abaissé à 15% dès 2020, contre 20% aujourd’hui.

Alors que le secteur financier subit déjà les effets de l’insécurité économique liée aux futures relations entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne (UE), il s’agit d’éviter un vent de délocalisations. Un secteur particulièrement sensible aux conditions-cadres, en particulier fiscales et de libre circulation d’une main-d’œuvre très spécialisée, est celui de l’industrie pharmaceutique et des petites entreprises de biotechnologie.

La Suisse qui occupe la troisième place en Europe dans le secteur de la biotech, derrière l’Allemagne et la Grande-Bretagne, pourrait ainsi tirer profit d’un effet Brexit. C’est l’avis de Domenico Alexakis, directeur de Swiss biotech. Quinze mille personnes travaillent dans la biotech en Suisse. Quatre cents nouveaux emplois ont été créés l’an dernier, alors que les investissements ont représenté 907 millions de francs, en hausse de 26% en un an.

Messages sur Twitter

«Nous disposons d’excellents centres de compétences en biotech en Suisse, y compris dans l’Arc lémanique, souligne Domenico Alexakis. Après la décision du Brexit, des messages sont partis, notamment sur Twitter, indiquant que la Suisse est prête à accueillir des entreprises, et nous multiplions les contacts dans un monde où tous les scientifiques se connaissent.»

Ces efforts seront-ils payants? «J’imagine que cinq ou six entreprises pourraient être tentées de quitter la Grande-Bretagne pour venir s’installer ici. L’accord des Chambres fédérales trouvé autour de la baisse de l’impôt des entreprises (RIE III) tombe au bon moment», constate le directeur de Swiss biotech.

La Suisse, hors de l’UE, ne constituera pas forcément la première destination à laquelle songeront des entreprises pharmaceutiques et de biotech anglaises qui entendent maintenir un ancrage fort au sein de l’UE et de son grand marché. Mais le Brexit va sans conteste bousculer l’industrie pharmaceutique britannique, déjà en concurrence, en ce qui concerne la production et l’installation de sièges de sociétés, avec l’Irlande proche, qui offre un taux d’imposition de 12,5%.

La première raison du changement qui s’annonce est liée à la présence, à Londres, de l’EMA, l’agence européenne d’homologation des médicaments qui donne le feu vert à la commercialisation des nouveaux produits au sein de l’UE. Quelque 800 personnes sont rattachées à cette agence qui pourra difficilement rester dans un pays qui ne fait plus partie de l’UE. Les entreprises pharmaceutiques justifient souvent une forte présence en Grande-Bretagne par leur proximité avec l’instance européenne d’homologation.

L’Espagne veut l’agence EMA

Nick Miles, d’origine anglaise et écossaise, installé en Suisse depuis plus de 15 ans, suit de nombreuses sociétés des sciences de la vie, via le Cabinet Privé de conseils. Il cite l’exemple d’une entreprise qui vient de lancer sur le marché européen un médicament contre un dérèglement génétique qui provoque de très fortes réactions de l’épiderme exposé au soleil. «La société australienne Clinuvel a choisi, il y a un peu plus d’un an, d’installer son siège européen en Grande-Bretagne. Elle l’a notamment fait à cause de la proximité de l’EMA et de l’accès direct au grand marché de l’Union européenne pour son produit phare. Le Brexit pourrait remettre en question cette décision».

L’Espagne a déjà laissé entendre qu’elle serait prête à accueillir l’EMA et ses 800 emplois. Si l’accès au marché européen devient compliqué, plusieurs grands groupes pharmaceutiques ayant un fort ancrage en Grande-Bretagne, comme AstraZeneca, GlaxoSmithKline, voire Shire, modifieront leurs stratégies. «On peut imaginer qu’ils délocalisent une partie de leurs services commerciaux dans un pays membre de l’UE», note Nick Miles.

La Grande-Bretagne dépasse aujourd’hui de la tête et des épaules les autres pays européens dans le domaine de la biotechnologie en raison de pôles régionaux où fleurissent des centaines de start-up. Si l’accès à de la main-d’œuvre étrangère de haut niveau scientifique vient à manquer, ce biotope souffrira. Au profit de la Suisse? «Je ne suis pas certain qu’elle puisse devenir une destination privilégiée en cas de délocalisations, car elle a aussi l’inconvénient, que va découvrir la Grande-Bretagne, de ne pas être membre de l’UE, même si elle bénéficie des accords bilatéraux», analyse Nick Miles.