Vaccin. C’est peut-être le mot de l’année après Covid-19 ou coronavirus. Il semble même passer en pole position cet automne, avec l’arrivée du froid et de la deuxième vague. A quand un vaccin? La question est sur toutes les lèvres. On entend souvent qu’une percée serait imminente, peut-être le mois prochain pour les solutions de Moderna ou de Pfizer, deux entreprises aux avant-postes dans la course qui s’est enclenchée en janvier.

Donald Trump a insisté pour qu’il arrive avec l’élection américaine, le 3 novembre. Moscou vante son «Spoutnik 5», qui serait déjà massivement produit au Brésil, et annonce que 20 pays, non identifiés, en auraient commandé. Les groupes chinois Sinopharm, CanSinoBio et Sinovac ont tous reçu un feu vert pour des usages d’urgence, parfois même depuis le mois de juin, dans l’Empire du Milieu mais aussi dans les Emirats arabes unis et en Indonésie.

Vu de Suisse, la réalité est moins excitante. Il faudra s’en tenir aux gestes barrières habituels cet hiver, la population helvétique n’étant pas près d’être vaccinée avant ce printemps. C’est en tout cas le message qui est ressorti d’une table ronde virtuelle organisée jeudi par le Club suisse de la presse, à Genève.

«Rien avant le mois de mai»

«A moins que le Père Noël ne nous réserve une surprise, il n’y aura rien avant le mois de mai», anticipe Alessandro Diana, un expert d’Infovac, la plateforme d’information sur les vaccinations en Suisse. Un point de vue partagé par Thomas Cueni, le directeur de l’IFPMA, la faîtière mondiale de l’industrie pharmaceutique.

Les spécialistes misent sur une période de douze à dix-huit mois pour la production d’un vaccin. Jusqu’à présent, le vaccin le plus rapidement conçu est celui contre Ebola, en quatre ans. Mais personne ne garantit que, parmi les plus de 200 en lice face au Covid-19, l’un finisse par être commercialisé à large échelle, même si dix d’entre eux sont en phase 3 des essais cliniques, les derniers avant une éventuelle mise sur le marché. «Un produit en phase 3 a 20% de chance d’être accepté», rappelle Alessandro Diana.

Lire aussi:  L’accès aux vaccins, une mission titanesque

La première phase des tests cliniques porte sur un nombre restreint de personnes et évalue la sûreté du produit. Le deuxième porte sur plus de patients et teste l’efficacité du vaccin. La troisième étape, la plus longue, porte, quant à elle, sur des dizaines de milliers de personnes. Après la commercialisation, les tests continuent dans une quatrième phase. Il n’est pas rare que des produits soient retirés du marché à cette étape. Les procédures accélérées de cette année ne remettent pas en question ce processus.

Les autorisations d’urgence chinoises et l’exemple russe? «La Suisse ne délivre pas de telles autorisations, privilégiant l’efficacité et la sécurité», indique la vice-directrice de l’OFSP, Nora Kronig. La pandémie rend l’industrie plus transparente – le groupe AstraZeneca a rendu public le malaise d’un patient soumis à ses essais, une première – mais pas partout. Les données manquent sur les autorisations d’urgence chinoises et le vaccin russe. «Je n’ai pas eu accès à des résultats sur Spoutnik 5 et je m’en méfie», indique Thomas Cueni.

Rebattre les cartes de la distribution

La pandémie promet aussi de rebattre les cartes de la distribution, sous l’impulsion de Covax, ce programme porté par l’OMS et la Gavi Alliance – une organisation basée à Genève qui vise à favoriser l’accès aux vaccins dans les pays à bas revenus. Ce fonds doit réunir 35 milliards de dollars, qui permettraient des achats massifs. La Suisse y participe, à hauteur de 20 millions de francs. Des entreprises aussi, à l’instar de Sanofi et GSK, qui se sont engagées mercredi à fournir 200 millions de doses de leur vaccin actuellement en phase 2 des essais cliniques.

Certains voient en Covax une solution historique, d’autres sont sceptiques. «Difficile d’assurer un accès équitable alors que, dans certains pays, le nombre de médecins pour 200 000 habitants se compte sur les doigts de la main», relève Rashmi Banga, une économiste de la Cnuced. «Un petit nombre de pays riches a déjà acheté plus de la moitié des doses de vaccins candidats», relève-t-elle. Selon Médecins sans frontières, 13% des pays ont déjà réservé 50% des vaccins candidats.

Lire également:  Les nombreux Suisses derrière l’essor de Moderna

Les enfants seront vaccinés en dernier

L’Inde et l’Afrique du Sud ont demandé que l’on puisse déroger aux règles de l’Organisation mondiale du commerce sur la question des brevets des médicaments pour faciliter les accès. Plusieurs pays, dont la Suisse, les Etats-Unis et le Brésil, ainsi que l’Union européenne ont rejeté cette proposition. «Les trois premiers exportateurs nets de médicaments sont l’UE, la Suisse et l’Inde; il est normal de les trouver dans ce débat. Mais leurs intérêts sont opposés: la Suisse et l’UE exportent des médicaments originaux protégés par des brevets là où l’Inde produit des génériques, qu’elle aimerait exporter librement», selon Christian Pauletto, professeur à l’International University in Geneva et ancien chef négociateur commercial suisse.

«La Suisse partage la préoccupation de la communauté internationale de garantir un accès abordable et équitable aux produits médicaux pour lutter contre le Covid-19, souligne Mathias Schaeli, chef des relations commerciales internationales à l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle. Cependant, nous ne pensons pas que la dérogation demandée soit la bonne voie à suivre pour atteindre cet objectif. Au contraire, la Suisse est convaincue que l’envoi d’un tel signal et l’adoption d’une telle mesure dérogatoire entraîneraient des effets contraires à ceux recherchés.»

En ce qui concerne la Suisse même, l’OFSP dit se préparer au mieux. Les enfants, moins à risque, seraient les derniers vaccinés, après le personnel médical, les aînés et les autres profils à risque. La Confédération a réservé des millions de doses des vaccins d’AstraZeneca et de Moderna.