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L’Alzheimer fera bientôt exploser les coûts de la santé

Le prochain lancement de plusieurs médicaments qui modifieront l’évolution de cette forme de démence va poser un problème d’accès à ces traitements onéreux

George Scangos, patron de Biogen (à g.), s'entretient avec le président de la Confédération sur le futur site de fabrication d'un médicament contre la maladie d'Alzheimer (KEYSTONE) — © MARCEL BIERI
George Scangos, patron de Biogen (à g.), s'entretient avec le président de la Confédération sur le futur site de fabrication d'un médicament contre la maladie d'Alzheimer (KEYSTONE) — © MARCEL BIERI

Les coûts de la maladie d’Alzheimer sont aujourd’hui le plus souvent supportés par les proches des malades qui réduisent leur temps de travail pour s’occuper d’un parent atteint. A un stade plus avancé, l’assurance maladie ne couvre qu’une partie des frais de séjour dans un EMS par exemple.

Cette donne financière va complètement changer avec l’arrivée sur le marché, à partir de 2018, des premiers médicaments dont les fabricants promettent qu’ils ralentiront ou stopperont la progression de la maladie. Nombreux sont ceux à se lancer dans la course.

Le laboratoire le plus avancé est Eli Lilly, avec la molécule solanezumab dont le dossier d’approbation devrait être déposé l’an prochain. Un autre groupe pharmaceutique américain, Biogen, mène également des études cliniques de phase terminale III de la molécule aducanumab. Son patron, George Scangos, est tellement certain du succès de ce médicament qu’il a déjà commencé à faire construire, dans le canton de Soleure, une vaste usine de biotechnologie dédiée à cette fabrication destinée au monde entier.

Le groupe bâlois Roche mène deux projets dans ce domaine, dont un repose sur la molécule crenezumab issue des laboratoires d’AC Immune basés à l’EPFL. Enfin, le groupe américain Merck va bientôt terminer une vaste étude clinique englobant près de 2000 patients de 55 à 85 ans, qui devrait démontrer une certaine efficacité de l’inhibiteur de bêta secrétase MK-8931 sur les malades légèrement ou modérément atteints (stades 3 et 4 de la maladie qui en compte 7).

Selon l’utilisation qui sera faite de cette nouvelle classe de médicaments qui comprend des anticorps monoclonaux administrés par injection ou des inhibiteurs de bêta secrétase, un report massif de coûts sera opéré sur l’assurance maladie.

En effet, une grande partie de la population souffre tôt ou tard de la maladie d’Alzheimer à un stade plus ou moins avancé. Des plaques amyloïdes blanches, nettement visibles par imagerie médicale (tomographie) envahissent le cerveau et tuent les neurones, ce qui conduit à des pertes cognitives progressives.

«On peut dire que l’incidence de ces plaques amyloïdes commence à partir de la cinquantaine. Entre 50 et 60 ans, 5% de la population est touchée, relève Bruno Vellas, spécialiste reconnu et patron du gérontopôle du Centre hospitalier universitaire de Toulouse. Entre 60 et 70 ans cette proportion passe à 10%, puis à 30% au-delà de 70 ans». L’incidence de la maladie double tous les 6 ans d’âge.

L’organisation mondiale de la santé (OMS) a tiré la sonnette d’alarme l’an dernier. Dans un rapport, elle constate qu’un nouveau cas d’Alzheimer se déclare toutes les 3,2 secondes dans le monde. Le nombre de personnes touchées devrait passer de 47 millions aujourd’hui à plus de 130 millions en 2050. L’OMS estime que le coût de cette maladie pour la société s’élève à 604 milliards de dollars par an (588 milliards de francs).

L’efficacité des médicaments testés ces dernières années s’est révélée très limitée et difficile à prouver scientifiquement à cause de la faiblesse des instruments de diagnostic précoce. L’amélioration de la précision de la tomographie grâce à un révélateur fluoré injectable permettant d’estimer la densité des plaques amyloïdes a modifié l’approche des entreprises pharmaceutiques. Ces dernières parviennent désormais à diagnostiquer les patients au stade précoce et espèrent ainsi prouver un taux d’efficacité du traitement dépassant largement 30% auprès de cette catégorie de malades.

Les médicaments pourront donc, dans un premier temps, venir en aide uniquement aux patients légèrement atteints diagnostiqués à un stade précoce. «Cela va coûter très cher, à la fois en traitement et en diagnostic, souligne Bruno Vellas. Une tomographie coûte entre 3000 et 4000 euros (3310 à 4410 francs). Je vois mal comment on pourra faire un dépistage de masse à ce niveau de prix. Il faudra donc aussi envisager une approche préventive, c’est-à-dire des actions dites multidomaines».

Bruno Vellas rappelle à ce propos l’étude MAPT, menée en France, qui a prouvé un ralentissement du déclin cognitif par l’association d’exercices physiques, de stimulation intellectuelle et d’une alimentation diversifiée comportant des omega3 riches en acide docosahexaénoïque (dha).

Les groupes pharmaceutiques poursuivent aussi des recherches pour aboutir à un diagnostic précoce efficace et meilleur marché de la maladie d’Alzheimer. Eli Lilly collabore ainsi avec Roche autour d’un prélèvement de liquide cérébrospinal par ponction lombaire, alors qu’AC Immune travaille avec Nestlé pour pouvoir détecter la maladie par voie sanguine.

A partir d’un certain stade de sévérité (5 sur 7), la maladie d’Alzheimer ne pourra pas, avant longtemps, être traitée. «Lorsque 70% des neurones sont irrémédiablement détruits, cela n’a plus beaucoup de sens de traiter le patient», remarque Andrea Pfeifer, patronne d’AC Immune.