Il y a dix ans, Celgene, entreprise américaine de biotechnologie spécialisée dans le traitement de maladies rares, en particulier certaines formes de leucémie, a choisi Boudry, près de Neuchâtel, comme lieu d’implantation de ses activités en Europe. Une usine de production, suivie d’une deuxième qui va être réalisée d’ici 2018 à Couvet, renforcent ce centre névralgique d’un groupe en forte expansion.

La société ne regrette pas son choix, même si des nuages pourraient perturber les accords bilatéraux entre l’Union européenne et la Suisse et compromettre la compétitivité des exportations pharmaceutiques. Président exécutif d’un groupe qui a dû attendre 17 ans pour être bénéficiaire, Robert Hugin s’est entretenu avec «Le Temps», à l’occasion de la célébration des 10 ans de présence à Boudry, marquée par un symposium scientifique.

Celgene, qui a réalisé un chiffre d’affaires de 9,16 milliards de dollars (8,8 milliards de francs) en 2015, a bénéficié d’exonérations fiscales qui se terminent cette année. La commune de Boudry a prévu un excédent de recettes en hausse de 70 000 francs.

Le cas de Black&Decker, qui a quitté Delémont (JU) au milieu des années 1990 à la fin de la période d’exonération, est dans toutes les mémoires. Celgene ne fera pas pareil.

«Notre présence en Suisse est durable, assure Robert Hugin. Les perspectives sont très bonnes. Les autorités nous ont accueillis à bras ouverts et nous ont aidés à nous implanter, mais nous avons aussi largement respecté nos engagements. Nous avions promis de créer 72 emplois. Aujourd’hui, 700, personnes, soit le dixième des employés du groupe, travaillent en Suisse».

Celgene a acquis l’an dernier une société qui lui offre des possibilités de diversification dans le domaine de l’immunologie qui révolutionne aujourd’hui la recherche de médicaments contre le cancer. Son médicament-phare, Revlimid utilisé pour combattre le myélome multiple, tumeur qui se développe dans la moelle osseuse, a dégagé un chiffre d’affaires de 5,8 milliards de dollars l’an dernier. «C’est un médicament très efficace qui sera encore utilisé durant des dizaines d’années», souligne Robert Hugin.

Celgene sera confronté à une perte de brevets, mais un accord a déjà été passé avec la société indienne Natco pour faire entrer progressivement sur le marché, sous licence, un générique dès le printemps 2022.

Le cap d’une marge bénéficiaire EBIT de 50% pour l’ensemble du groupe a été dépassé l’an dernier. Elle devrait atteindre 53,5% en 2016 selon les prévisions faites en janvier. N’est-ce pas exagéré, et peut-être le signe que c’est le moment de baisser les prix?

«J’ai vraiment la conscience tranquille concernant les prix de nos médicaments, rétorque Robert Hugin. Nos produits sont vendus beaucoup moins chers qu’il y a 10 ans. L’industrie pharmaceutique a en moyenne 11 ans de protection effective par un brevet pour rembourser les investissements consentis et alimenter les recherches futures tournées vers l’innovation. Si l’innovation pharmaceutique s’arrête par manque d’argent, imaginez combien cela coûtera à la société. Si on ne guérit pas, ou on ne retarde pas la maladie d’Alzheimer, uniquement aux Etats-Unis, en 2040, 1000 milliards de dollars seront dépensés pour placer les malades dans des homes. Le coût de l’inaction contre l’obésité est estimé à 700 milliards de dollars».

Robert Hugin, dont les grands-parents étaient d’origine bâloise, poursuit sur ce thème qui lui tient à coeur: «En se concentrant sur les quelques entreprises pharmaceutiques qui réalisent d’importants bénéfices, on oublie la centaine de sociétés qui font chaque année faillite dans les sciences de la vie. C’est une activité risquée. Beaucoup plus que la fabrication de boissons sucrées ou de chips salées qui dégagent une marge bénéficiaire supérieure à l’industrie pharmaceutique».

Celgene n’envisage pas de compléter son implantation en Suisse par un centre de recherche et développement. «Les collaborations actuelles avec des instituts de recherche en Suisse nous suffisent», indique Robert Hugin.