Un laboratoire? Des microscopes et des blouses blanches? Au contraire, un vieux parquet, des portes en bois, des hauts plafonds et, parmi les voisins, une fiduciaire et un magasin pour bébés. C’est pourtant bien de cet appartement qui jouxte la Vieille-Ville de Genève que pourrait sortir un traitement dans la lutte contre la pandémie. La puissante FDA, l’autorité qui supervise la commercialisation des médicaments aux Etats-Unis, a accordé en mai à ses locataires un préavis positif pour lancer des essais cliniques avancés d’une solution qui neutralise les pathogènes liés au Covid-19.

La société, Combioxin, a été créée par deux biologistes, Samareh Azeredo da Silveira Lajaunias et Frédéric Lajaunias, qui se sont rencontrés durant leurs études à Genève avant de se marier et de fonder une famille. Ils collaborent avec plusieurs consultants, dont deux travaillent à leurs côtés dans l’appartement. Le reste est réseautage et partenariats.

Un modèle flexible peu courant dans la pharma. En Suisse romande, il rappelle celui de Debiopharm, une entreprise de 420 employés qui délègue le gros de ses opérations.

Réseautage et partenariats

Pour Samareh et Frédéric, les choses sérieuses, au niveau entrepreneurial, commencent en 2007, avec la création de Lascco SA. La société genevoise identifie les découvertes précoces au sein des universités – des molécules dormantes délaissées par la pharma car trop embryonnaires – pour exploiter leur potentiel. Le couple acquiert des licences d’exploitation et démarche des experts pour faire avancer les projets.

«Nous avons analysé une centaine de projets et sélectionné deux d’entre eux», indique Samareh Azeredo da Silveira Lajaunias. Le premier porte sur une molécule dénichée à l’Hôpital de Zurich, où des chercheurs ont repéré un biomarqueur dont la présence augmente lors d’un sepsis, une infection du sang. Après huit études cliniques et la création d’une filiale, Sepstone Diagnostics Sàrl, Lascco s’accorde avec une PME vaudoise, Abionic, pour commercialiser un test de diagnostic du sepsis en cinq minutes. La start-up est entrée dans les chiffres noirs, mais n’en communique aucun.

Combioxin? «C’est un peu la même histoire», selon le cofondateur de Lascco: «Nous repérons une molécule embryonnaire, à l’Université de Berne qui la fait breveter et nous octroie une licence, on crée une filiale (Combioxin), on la développe avec des investisseurs [qui souhaitent rester confidentiels, ndlr].»

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Découverte en 2012 et baptisée CAL02, la molécule neutralise les toxines émises par des bactéries en les absorbant comme une éponge. «C’est complémentaire aux antibiotiques: eux tuent les bactéries et CAL02 s’en prend à leurs missiles, sans être toxique, sans créer de résistances et en agissant à large spectre», promet Samareh Azeredo da Silveira Lajaunias.

Des études préliminaires sont menées en Suisse, en Europe et outre-Atlantique sur des animaux de laboratoire. S’ensuivent des tests, auprès de patients en France et en Belgique, aux résultats si encourageants que The Lancet y consacre un éditorial en mai 2019. La revue de référence voit en CAL02 une «percée médicale» (medical breakthrough) parce qu’en ciblant les toxines elle laisse entrevoir une réponse face à la menace grandissante posée par les bactéries multirésistantes.

La molécule se montre efficace face aux virus à enveloppe, dont font partie les coronavirus. CAL02 a le potentiel de permettre aux patients souffrant de pneumonies sévères – comme celles que peut engendrer le SARS-CoV-2 – de se rétablir deux fois plus vite que les autres. La start-up cherche désormais d’autres partenaires pour mener des tests avancés et commercialiser sa solution.

Contexte difficile pour les antibactériens

«On est optimiste, les médecins et les hôpitaux vont prescrire le médicament. Mais c’est un travail de longue haleine qui demande aux investisseurs d’embrasser notre approche non antibiotique qui donne une nouvelle direction à la pratique médicale», estime la codirectrice de Combioxin. «Avec la pandémie, la pharma est à un moment pivot et la donne pourrait changer par rapport aux maladies infectieuses», glisse-t-elle.

«L’approche de Combioxin, qui consiste à cibler les toxines, est innovante, d’autres s’y essaient mais c’est Combioxin qui a la molécule la plus prometteuse», renchérit François Franceschi, de l’organisation genevoise GARDP. La pandémie peut-elle lui faciliter un accès à des investissements? «Pas évident, car les antibactériens ne sont pas chers, les retours sur investissements faibles et les hôpitaux privilégient souvent des traitements moins efficaces, mais abordables, à des solutions meilleures mais chères, estime le scientifique. Les investisseurs s’intéressent surtout au virus.»

Et là, la recherche bat son plein. En Suisse, le Bâlois Lonza s’est associé à un groupe américain pour créer des millions de doses d’un vaccin. De la start-up rhénane Alpha-O Peptides à l’Inselspital de Berne en passant par la biotech bernoise InnoMedica, d’autres Suisses cherchent un vaccin. Novartis et Roche testent des traitements face au Covid-19 et à ses complications. Sur le front des diagnostics, outre Roche qui se démarque, le genevois Unilabs et Quotient, un groupe vaudois, ont lancé ce mois la production de millions de tests d’anticorps.