Le Temps: près de dix ans après le lancement de la politique économique de Shinzo Abe, quel bilan peut-on en tirer?
Philippe Monnier: Ce matin, j’ai parlé avec quatre Japonais actifs dans l’économie du pays et leur ai demandé ce qu’ils en pensaient. Tous m’ont dit: «En fait, je n’en pense rien. Par contre, je me rappelle bien de Shinzo Abe pour ce qu’il a fait globalement.» Finalement, ces «trois flèches», c’est ce que tous les pays utilisent. En fait, Shinzo Abe a réussi à créer une marque et cela a rendu son programme plus «vendable». Mais au Japon, si les gens se souviennent de quelque chose, c’est en premier lieu de sa longévité. Normalement, les premiers ministres tiennent un à deux ans. Lui, quand il est revenu au pouvoir, il y est resté huit ans et il ne faut pas oublier qu’en 2020 comme en 2007, il est parti pour des raisons de santé.
L’une de ses flèches ciblait la structure de l’économie japonaise. Est-ce que là, il y a eu un effet?
Oui. Je pense que c’est sur ce point qu’il a été le plus efficace. Le Japon est un pays plutôt fermé. Avec l’aura et la popularité qu’il avait, il a pu faire des réformes structurelles dont on verra les retombées dans une large mesure sur la durée. Il a par exemple beaucoup encouragé les femmes à entrer dans l’économie et les entreprises à les intégrer dans les équipes de management et les conseils d’administration. Il a aussi par exemple rendu possible pour les entreprises le renvoi d’une personne qui ne travaillait pas bien parce qu’avant, c’était extrêmement compliqué. Mais je pense qu’il a surtout voulu redonner au Japon sa fierté et sa splendeur d’antan. Il avait un petit côté Eric Zemmour dans le sens de dire: «stop à l’autoflagellation parce que nous avons perdu la guerre»- dans le cas de Zemmour, cela avait trait aux colonies. Mais la grande différence avec lui, c’est qu’il était plutôt favorable à l’immigration en raison de la pénurie de main-d’œuvre.
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Le Japon se porte-t-il mieux aujourd’hui qu’il y a dix ans?
C’est difficile à dire parce qu’il y a eu le covid. Si on regarde l’effet des Abenomics, sur le court terme, on voit que le chômage a beaucoup baissé mais que l’impact sur la croissance est plus limité. Son programme était un programme libéral. Il y a par exemple beaucoup de femmes qui sont rentrées sur le marché du travail, mais avec des mauvais salaires. Il y a aussi plus de travailleurs qui sont passés d’un statut permanent à un statut temporaire.
Qu’est-ce qui pourrait, selon vous, redynamiser aujourd’hui l’économie japonaise?
Il faut continuer et accélérer les réformes que Shinzo Abe a entreprises. Il y a tellement de marchés qui sont fermés. Ceux qui sont les plus grands sont les plus ouverts car c’est très visible et s’il y a une rencontre avec un président étranger, il faut pouvoir montrer que l’économie s’ouvre. Mais dans le cas de marchés plus petits comme celui des ascenseurs que je connais bien (ndlr, Philippe Monnier a travaillé pour le groupe suisse Schindler), la pénétration du marché est, pour des raisons régulatoires, très compliquée. De facto, cela permet de maintenir les acteurs étrangers hors du marché.
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