Samedi 26 mai, plusieurs manifestations ont eu lieu en Suisse à l’appel du groupe de lutte contre la hausse des primes d’assurance maladie. Y compris à Lausanne, où les mécontents sont nombreux. En réponse aux problèmes de la loi sur l’assurance maladie, Pierre-Yves Maillard, ministre vaudois de la Santé et de l’Action sociale, plaide pour un investissement accru de l’Etat dans le secteur.

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Le Temps: Récemment, dans les Grisons, un homme est mort du sida, car il n’a pas pu acheter son traitement. Il était sur liste noire, parce qu’il avait des dettes vis-à-vis de son assurance maladie. Qu’est-ce que cela vous inspire?
Pierre-Yves Maillard: Lorsque l’établissement de ces listes noires est apparu, suite aux modifications légales de 2012, les cantons romands se sont tout de suite portés en faux. Ce dont nous avions peur, notamment, c’était qu’il y ait des drames. Tout simplement. L’exemple que vous citez montre que ces craintes étaient justifiées. Cet événement va naturellement interpeller les neuf cantons qui ont mis en place cette pratique et rouvrir le débat au sein de la conférence des cantons. Mais entre Romands et Alémaniques, les cultures et les choix de politique sociale sont différents.

Si un citoyen vaudois ne paie pas ses primes et qu’il tombe malade, que va-t-il se passer?
Les professionnels de la santé n’ont pas à savoir si un malade est aux poursuites ou pas. Donc ils doivent le prendre en charge dans tous les cas. Ce citoyen sera soigné.

Mais qui paiera la facture?
Au bout du compte, c’est le canton. Une fois que l’assureur a mis l’assuré aux poursuites et que l’acte de défaut de bien est formalisé, le canton paie 85% de l’arriéré. Le reste est à la charge de l’assureur, qui reste propriétaire de la dette. En théorie, la seule conséquence pour l’assuré, c’est qu’il est bloqué chez l’assureur. Il ne peut pas en changer tant qu’il n’a pas payé son dû.

Les gens s’acquittent-ils souvent de leurs dettes auprès des assurances maladie?
C’est rare, parce que les assureurs sont très peu motivés à recouvrir leurs dettes étant donné que le canton les paie. Et aussi parce que lorsqu’on tombe dans la précarité, il est difficile de retrouver rapidement une bonne santé financière. Si l’assuré rembourse, le canton récupère 50% de cette somme. En 2016, nous avons récupéré 2 à 3 millions de francs, soit environ 6% de ce que l’on paie aux assurances…

Au total, quels sont les montants payés par le canton pour le contentieux aux assurances?
En 2017, nous avons versé 44, 2 millions aux assurances maladie pour le compte de citoyens aux poursuites. C’est en légère diminution depuis l’année dernière mais tendanciellement, il s’agit clairement d’une augmentation.

A cela s’ajoutent les subsides payés aux assurés vaudois qui n’ont pas les moyens de financer leurs primes tout seuls. De quelles sommes parle-t-on?
Au budget 2018, on parle de 640 millions de francs. C’était 260 millions il y a 10 ans. Cette explosion est due à l’augmentation du nombre de bénéficiaires, mais aussi au fait que les subsides suivent l’augmentation des primes, ce qui est également une volonté politique de notre part.

Il y a 10 ans, la Suisse était parmi les pays de l’OCDE les mieux placés. Aujourd’hui, nous sommes celui qui a le plus régressé

Quelle proportion cette enveloppe représente-t-elle dans les finances cantonales?
Une partie de cette somme est payée par la Confédération, une autre par les communes. Il reste à notre charge environ 300 millions par an, soit 3% des dépenses globales de l’Etat. Vaud est le canton qui verse le plus de subsides par habitant de toute la Suisse. Il y a dix ans, nous étions tout en bas de l’échelle.

Deux Vaudois sur cinq qui pourraient bénéficier de subsides ne le demandent pas. Une pétition a été lancée pour qu’ils la reçoivent automatiquement. Qu’en pensez-vous?
On doit faire mieux en termes d’information auprès des bénéficiaires potentiels. Nous préparons un système de demande en ligne où les gens peuvent facilement déposer leur demande et calculer leurs droits. Mais donner des subsides automatiquement sur la base de la déclaration fiscale qui décrit la situation d’il y a deux ans poserait des difficultés. Les situations peuvent avoir fortement changé et on pourrait donner des aides substantielles à des gens qui ne les ont pas demandées et qui n’en ont pas besoin.

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Un nombre croissant d’habitants ne parviennent plus à payer leurs primes d’assurance maladie...
Le système est à bout de souffle. La meilleure preuve est un indicateur statistique publié par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), celui du taux de renoncement aux soins pour des raisons économiques. Il y a 10 ans, la Suisse était parmi les pays de l’OCDE les mieux placés. Aujourd’hui, nous sommes celui qui a le plus régressé. Le taux de gens qui déclarent avoir renoncé aux soins pour des raisons financières a tout simplement explosé et il est maintenant de 25%. Les citoyens prennent des franchises élevées pour payer des primes plus basses, mais le résultat, c’est qu’ils ne vont plus consulter s’ils sont malades. On nous a dit que cette franchise était faite pour inciter les gens à moins avoir recours aux soins bagatelles. Si tel avait été le cas, nous aurions vu les coûts de la santé baisser, or ce n’est pas le cas.

C’est pour cette raison que vous êtes opposé à l’idée de la CSS d’émettre une assurance avec une franchise à 10 000 francs?
Bien entendu. Je note au passage que la CSS a modéré ses propos en disant qu’elle supposait que les cantons rembourseraient, avec les économies faites sur les subsides, une partie de ces 10 000 francs pour les assurés à revenu modeste. Dès lors, on ne peut plus parler de franchise. Cela revient à transformer la LAMal en assurance pour les cas lourds et à ouvrir la voie à une forme d’assurance sociale cantonale. Il faudrait alors établir une contrainte pour les cantons, sinon on risque une casse sociale majeure, avec une exclusion de l’accès aux soins pour une forte proportion de la population.

Quelles sont les solutions que vous proposez?
Dans le canton de Vaud, nous avons négocié des contreparties sociales en échange de la réforme fiscale des entreprises. C’est du concret: à partir de l’année prochaine, le citoyen pour lequel une prime d’assurance moyenne dépassera les 10% de son revenu net recevra des aides cantonales afin de maintenir ce taux en dessous des 10%. Ce sera une forte redistribution de pouvoir d’achat à l’intention des revenus modestes à moyens. Le canton deviendra un acteur à part entière du système d’assurance maladie et devra lier son sort à celui des assurés au sujet de l’augmentation des coûts.

La volatilité des primes d’un assureur à l’autre, d’une année à l’autre, n’est plus défendable quand leurs coûts sont arrivés à un tel niveau de souffrance pour les gen

Le Parti socialiste suisse est d’ailleurs en train d’élaborer une initiative visant à généraliser cette mesure à l’échelle fédérale.
Oui, et je le salue. Le débat est enfin relancé par des initiatives populaires. Il y a aussi l’initiative pour la création de caisses cantonales. Nous avons jusqu’en avril 2019 pour récolter suffisamment de signatures. En Suisse romande, les choses avancent bien, mais nous manquons de relais en Suisse alémanique. Il faut convaincre les grands partis nationaux. Nous entamerons le débat lors de l’assemblée des délégués du PS en juin prochain.

Comment fonctionnerait cette caisse cantonale?
L’un des problèmes rencontrés est la volatilité des primes d’un assureur à l’autre, d’une année à l’autre. Ce chaos n’est plus défendable quand les primes sont arrivées à un tel niveau de souffrance pour les gens. A cause de ce système, chaque année, une proportion importante d’assurés subit des hausses des primes de plus de 10%, ce qui est bien supérieur à la croissance des coûts de la santé. C’est lié à des mécanismes absurdes où les assurés changent de caisse sans que leurs réserves suivent et où la sélection des risques demeure la règle… Mutualiser l’encaissement des primes permettrait de diminuer les coûts de fonctionnement. La prime serait la même pour tous les assurés en fonction de leur franchise. Et les assureurs privés traiteraient les tâches administratives que l’institution publique leur confierait.

Quel rôle les salaires des médecins jouent-ils dans l’augmentation des coûts de la santé?
Le système Tarmed permet d’optimiser certains revenus. Par exemple, quand les positions tarifaires des spécialistes ont baissé de 10%, cette baisse a été entièrement compensée notamment par l’augmentation de facturation de ladite «prestation en l’absence du patient». Si je résume, leurs actes médicaux étaient moins chers, du coup ils en faisaient plus. Cela a débouché sur de nouvelles décisions du Conseil fédéral pour empêcher ces pratiques, ce qui pénalise les nombreux médecins qui facturaient honnêtement ces prestations. Il faut sortir de ce cercle vicieux et évoluer vers des systèmes de rémunération plus simples et plus justes. On y arrivera si une institution neutre et contrôlée démocratiquement participe à la fixation des règles, qui ont été trop longtemps abandonnées aux blocages des acteurs privés. 

Vous avez déclaré: «Laisser tous les médecins européens libres de s’installer en Suisse, c’est risquer l’explosion du système de santé suisse.» Pourquoi?
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’augmentation du nombre de médecins ne donne pas lieu à une baisse des tarifs qui serait liée à la concurrence. En réalité, il existe une corrélation entre le nombre de praticiens et l’évolution des coûts. Le nombre de médecins a augmenté de 15% entre 2013 et 2016 dans le canton de Vaud. Et les coûts ont aussi pris l’ascenseur. Chez les médecins praticiens, installés en nombre ces dernières années, les facturations sont plus élevées que chez des généralistes installés ici depuis longtemps – 20% de plus, selon les données dont nous disposons.

Parmi les médecins praticiens se trouvent beaucoup d’étrangers, notamment de Français. Ils sont plus chers? Comment l’expliquez-vous?
Difficile à dire. Quand on s’installe et que le nombre de patients n’est pas encore suffisant, on produit une facturation qui vise à couvrir les coûts, j’imagine. La facturation Tarmed laisse une immense latitude aux praticiens. Et les assureurs n’interviennent que si les coûts du médecin se situent 25% au-dessus de la moyenne.


PROFIL
 
16 mars 1968 Naissance à Lausanne
 
1990 Elu conseiller communal à Lausanne
 
1992 Licencié en lettres de l’université de Lausanne. Enseigne le Français au collège.
 
1er décembre 2004 Elu ministre vaudois de la Santé et de l’Action sociale  
 
Octobre 2011 Se lance dans la course au Conseil fédéral. Mais Alain Berset lui est finalement préféré lors de l’élection.
 
30 avril 2017 Réélu au Conseil d’Etat. Une dérogation lui avait été accordée par le PS pour qu’il puisse rempiler pour un 4e mandat.