«Nous allons maintenant accélérer notre travail en vue d’une gouvernance économique plus forte». Invité ce matin à Bruxelles à ouvrir l’édition «Europe» du Forum économique mondial (WEF), le président du Conseil européen Herman Van Rompuy a promis que l’UE tirera profit de son plan massif de stabilisation financière annoncé dans la nuit de dimanche à lundi, après plus de dix heures de négociation.

Responsable d’une «task force» chargée d’accoucher des propositions pour une nouvelle gouvernance économique, l’ancien premier ministre belge a expliqué au WEF qu’il dévoilera différentes pistes de travail sur le renforcement des règles de surveillance des marchés dès le 21 mai, en vue de soumettre en octobre un menu complet de mesures aux chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE. Le président de la Commission européenne, José-Manuel Barroso, invité lui aussi au sommet bruxellois, a estimé de son coté indispensable pour l’Union de retrouver «un leadership». La Commission doit annoncer mercredi des propositions sur la réglementation financière et l’encadrement des agences de notation. Les ministres des finances européens se retrouvent, eux, à nouveau les 17 et 18 mai à Bruxelles.

Les promesses des leaders de l’UE, critiqués jusque-là pour leur attentisme, ont été dopées, il est vrai par l’envolée matinale des bourses mondiales, satisfaites des garanties apportées par les Vingt-Sept à tout pays membre menacé de défaillance. L’euro et les bourses européennes, en particulier celle de Madrid, ont accueilli par de très fortes hausses l’annonce d’un accord sur ce vaste mécanisme de soutien, pouvant mobiliser jusqu’à 750 milliards d’euros et garanti par l’action conjointe de la Commission, des Etats-membres, du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque centrale européenne (BCE).

Toutes les places financières européennes affichaient des hausses allant de 4% à plus de 13% après leur chute de la semaine dernière et l’euro remontait au dessus des 1,30 dollar. Paris prenait plus de 7,11%, Lisbonne 7,72%, Milan 7,77%, Amsterdam 4,71%, Londres 3,95% et Francfort 4,06%, Bruxelles 6,49%. En début d’après-midi, la bourse de Madrid gagnait 13,05% et celle d’Athènes, 10,04%. La bourse suisse engrangeait ce matin 3,70%. Plus tôt, les Bourse d’Asie avaient les premières salué le plan européen, Tokyo terminant en hausse de 1,60%.

La Bourse de New York bondissait à l’ouverture des échanges lundi, dopée par l’adoption d’un plan sans précédent en Europe destiné à endiguer la crise financière qui menace la zone euro: le Dow Jones gagnait 4,28% et le Nasdaq, à dominante technologique, 4,89%.

Le plan de secours européen annoncé dans la nuit a aussi calmé le tourbillon des marchés obligataires où le taux des obligations d’Etat grecques à dix ans enregistrait une détente spectaculaire, revenant à son niveau d’il y a un mois. Au total, l’Union européenne pourrait mobiliser dans les trois prochaines années jusqu’à 600 milliards d’euros sous formes de prêts pour les pays assiégés, activant ainsi l’article 122 du Traité de Lisbonne qui prévoit une intervention financière au secours d’un Etat-membre pour palier à «des circonstances exceptionnelles».

En plus des 80 milliards déjà approuvés pour la Grèce, 60 milliards seront disponibles très vite, dans le cadre de la facilité d’ajustement à la balance des paiements gérée par la Commission européenne. Ils s’ajouteront au «réservoir» de 50 milliards d’euros géré par la Commission pour secourir les pays restés hors de la monnaie unique. Cette manne avait été activée notamment en octobre 2008 pour venir au secours de la Hongrie, de la Lettonie puis de la Roumanie. Une brèche bénéfique, selon le président de la Commission du budget du Parlement Européen Alain Lamassoure: «La preuve est faite qu’aucun pays, ou qu’aucune catégorie de pays ne peut s’en tirer tout seul», a-t-il expliqué en se félicitant de cette capacité d’emprunt accrue accordée l’UE. «Il faut maintenant bâtir sur cet appel à la solidarité commune».

Le volet le plus important du dispositif adopté dans la nuit est toutefois, de très loin, la création d’un Fonds de stabilisation européen qui, une fois institué, pourra emprunter sur les marchés financiers à hauteur de 440 milliards de dollars, avec la garantie des Etats membres de la zone euro et d’autres Etats volontaires de l’Union. La Suède et la Pologne auraient déjà donné leur accord de principe, alors que le Royaume-Uni a en revanche affirmé qu’il n’y participerait pas. L’idée de ce fonds spécial, qui est maintenant à constituer, est un mi-chemin entre la proposition initiale de la Commission, désireuse d’être le seul véhicule de la solidarité budgétaire, et l’exigence allemande de permettre aux parlements nationaux d’exercer une tutelle sur les futurs prêts liés à l’octroi de ces garanties.

Ce fonds sera une nouvelle entité communautaire «ad hoc», pour laquelle la Commission européenne doit maintenant faire des propositions. Les garanties dont il bénéficiera pour emprunter seront délivrées par les Etats. «La base de ce mécanisme sera clairement intergouvernementale» a confirmé la ministre française des Finances Christine Lagarde vers trois heures du matin. «Les Allemands ne se sentaient pas à l’aise avec un dispositif communautaire classique», confirmait à l’aube un diplomate

Chacun des pays impliqués soumettra donc ce dispositif pour approbation à son parlement. Puis des critères de conditionnalités drastiques seront imposés aux Etats en difficulté désireux de l’activer. La mise en œuvre de ce Fonds de stabilisation, imaginé par la France et l’Italie pour satisfaire les demandes allemandes mais aussi néerlandaises, pourrait être confiée à la Commission. Il ressemblera plutôt, dans sa formule finale, à une sorte de Fonds monétaire européen activable à la demande.

Son caractère hybride, qui s’appuie sur la Commission sans lui en céder complètement les rênes, et qui se base sur des garanties plutôt que sur des réserves tangibles, pourrait néanmoins s’avérer un compromis compliqué à mettre en œuvre, même si, affirment les ministres européens «la leçon de la Grèce a bien été comprise». «Ce cadre, une fois fixé, nous permettra de réagir rapidement», juge le grand argentier belge Didier Reynders.

Pour parachever ce rempart financier destiné à protéger l’euro des spéculateurs, le Fonds monétaire international (FMI), la BCE et le G7 ont également décidé d’agir. Le FMI interviendra au bénéfice des pays menacés de la zone euro à hauteur de 220 milliards d’euros, soit 50% du montant total des garanties apportées par l’UE à travers son fonds de stabilisation.

La BCE mènera «des interventions sur le marché obligataire privé et public de la zone euro» et a réactivé des mécanismes d’échanges de devises avec les banques centrales des Etats-Unis, du Canada, d’Angleterre et de Suisse pour permettre à la zone euro de se procurer plus facilement des dollars. Autant d’initiatives saluées par le G7 dans un communiqué.

L’ultime partie du dispositif, annoncée juste après l’ouverture de la bourse de Tokyo, est le resserrement des conditionnalités et l’engagement des pays les plus vulnérables à faire davantage d’efforts. Toute une partie de la soirée, les Vingt-Sept ont discuté du cas de l’Espagne et du Portugal, priés d’annoncer très vite de nouveaux sacrifices pour réduire leurs déficits en 2010 et 2011, de l’ordre de 1 à 2%. «Quelques uns de nos pays membres ont clairement vécu au dessus de leurs moyens a reconnu devant le Forum économique mondial José-Manuel Barroso. Mais c’était une illusion de prospérité. Maintenant, la réalité a repris ses droits. Et les gouvernements doivent saisir l’occasion pour témoigner, au niveau national et communautaire du courage politique indispensable».