La troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III) devait n’être qu’une harmonisation du système fiscal suisse avec les normes internationales, par la suppression des statuts spéciaux. Mais sa mise en œuvre a débouché sur l’une des plus belles promesses qu’un patron peut entendre: une baisse d’impôt sur le bénéfice. Aussi les dirigeants de petites et moyennes entreprises (PME) contactés par Le Temps se montrent-ils unanimement favorables à la réforme, alors que les sondages anticipent un résultat terriblement serré pour le vote de dimanche.

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La proportion des baisses promises varie d’un canton à l’autre. Nulle à Neuchâtel, qui a diminué son taux en 2011 déjà, elle est proche de dix points de pourcentage dans le canton de Vaud, et même supérieure à onze points de pourcentage à Genève, où le taux doit chuter de 25% à 13,78% (en incluant les retenus sociales supplémentaires contenues dans le projet du Conseil d’Etat).

Des opportunités pour les nouveaux outils de travail

Ces baisses annoncées sont vécues par les dirigeants de PME comme autant d’opportunités pour investir dans de nouveaux outils de travail ou pour embaucher de nouveaux salariés, quelques personnes le plus souvent. De l’argent qui devrait être réinjecté dans leurs entreprises, parfois pour pallier aux difficultés d’obtenir des crédits bancaires.

Pour se faire une idée plus précise de leur marge de manœuvre, ces patrons s’en remettent généralement aux conseils de leur fiduciaire ou de leur service de comptabilité, qui leur indique l’économie d’impôts que la réforme leur permettrait de réaliser.

Au-delà des avantages immédiats – qui peuvent être fort ténus selon le statut juridique et la situation financière de chaque entreprise –, ces patrons espèrent qu’une adoption de la RIE III leur permettra de sauvegarder de leur clientèle existante. Notamment celles qu’ils entretiennent avec les multinationales susceptibles de quitter le pays en cas de refus de la réforme. Et aussi de développer de nouvelles relations, au cas où les nouvelles conditions offertes par la Suisse entraîneraient l’arrivée de nouvelles entreprises.

Pas un gain massif

Certes, les dirigeants des PME ne s’attendent pas à profiter massivement des nouveaux outils fiscaux permettant d’abaisser leur facture d’impôt. Comment une PME du bâtiment pourrait-elle utiliser la possibilité de déduire jusqu’à une fois et demie ses frais de recherche et développement, dépenses qu’elle n’a en principe pas? De réduire la taxation de ses revenus liés aux patentes, vu qu’elle n’en a pas davantage? Ou encore de déduire les intérêts notionnels sur leurs fonds propres excédentaires, vu qu’elles n’en ont généralement guère trop?

Certains dirigeants sont conscients que d’autres sauront mieux profiter de ces instruments qu’eux-mêmes. Mais cela ne change pas leur attitude de fond: pour eux, le projet RIE III permet une diminution de la facture fiscale. Il ouvre peut-être la voie à un nouveau dynamisme économique. Et quand on est patron, c’est cela qui compte.


«100 000 francs d'économies par an»

Emmanuel Raffner, directeur général de Lauener, Boudry (NE)

Oui, double oui. Patron de Lauener à Boudry (NE), Emmanuel Raffner a deux raisons d’être favorable à RIE III. D’abord, elle réduira la facture fiscale des PME. Son entreprise de décolletage est située dans un canton de Neuchâtel qui a déjà instauré un régime fiscal harmonisé. En cinq ans, son taux d’imposition cantonal a baissé de 23% à 16%. Soit une centaine de milliers de francs par an d’économies. Concrètement, cela lui a permis de développer son offre de sous-traitance dans le domaine médical: une équipe de quatre personnes et un investissement de 1,5 million de francs dans un nouvel équipement.

Deuxième argument en faveur: Lauener gagne plus de 7 francs sur 10 grâce à ses contrats avec des multinationales implantées en Suisse. «Sans elles, on n’existerait pas. La proximité est impérative, pour conserver ces relations d’affaires». Selon Emmanuel Raffner, toute cette chaîne, «cette saine interdépendance» entre les touts petits, les moyens et très grands serait mise à mal, en cas de refus.


«La réforme nous simplifiera la vie»

David Candaux, patron de Du Val Des Bois, Le Brassus (VD)

David Candaux possède cinq entreprises actives dans la sous-traitance horlogère. Et presque toutes sont basées dans la Vallée de Joux. Quatre d’entre elles sont réunies sous une holding baptisée La Grande Pièce. Au total, il emploie 23 personnes pour un chiffre d’affaires annuel d’environ 3,5 millions de francs. La RIE III? Il pense bien que «ce n’est pas parfait pour tout», mais c’est sûr, il va voter oui.

«Cela va nous simplifier la vie. Si la votation passe, par exemple, notre holding ne va plus nous servir à grand-chose et nous pensons fusionner les quatre sociétés pour n’en avoir plus qu’une», relève David Candaux. Du côté de son entreprise «indépendante» – Hepta Swiss, fabriquant des composants horlogers –, cela va même encore améliorer les choses. «Cette société dégage chaque année un peu de bénéfice. Actuellement, pour éviter que cela soit taxé à plus de 20%, nous investissons tout, plutôt rapidement pour éviter d’avoir des réserves de liquidités», explique David Candaux. Conséquence, quand la conjoncture est moins bonne, le patron ne peut pas compter sur de grosses réserves.

Il faut encore ajouter que le but d’un patron de PME est rarement de devenir millionnaire. «Nous partons rarement en vacances et sommes de gros bosseurs. On préfère acheter du terrain et développer nos entreprises. Cette RIE III facilitera la vie de ces micro-structures.»


«Plus de liquidités»

David Lizzola, directeur et fondateur de Léguriviera, Villars-Sainte-Croix (VD)

Ancien employé de commerce à la Coop à Renens, David Lizzola a décidé de se mettre à son compte à 22 ans en proposant aux restaurateurs des fruits et légumes de premier choix. «J’ai démarré avec un camion réfrigéré», dit-il. Désormais, cet entrepreneur est à la tête d’une PME qui réalise un chiffre d’affaires de 40 millions de francs et qui compte 180 collaborateurs. «Je suis pour RIE III. Cela me permettra de dégager plus de liquidités, dit-il. Depuis quelques années, c’est toujours plus compliqué d’obtenir un prêt auprès des banques. Il faut beaucoup plus de fonds propres. Si les impôts diminuent, nous pourrons accélérer nos investissements et optimiser notre structure.» David Lizzola espère faire des économies d’impôts et réinjecter cette somme dans un terrain où il espère regrouper les différentes activités du groupe. «Nous pourrons ainsi augmenter notre part de fonds propres, demandée par les banques.»


«Les employés seront les gagnants»

François de Coulon, agriculteur et viticulteur, Eclépens (VD)

Il y a quelques années, François de Coulon a changé de métier pour reprendre à plein-temps le domaine qui appartient à sa famille depuis sept générations. L’agriculteur-viticulteur soutient la RIE III même si cette réforme n’est pas directement dans l’intérêt de son entreprise. «En tant qu’indépendant, je ne bénéficierai pas de baisse d’impôt. En revanche, les contributions des employeurs aux structures d’accueil de jour ou aux allocations familiales seront augmentées», explique François de Coulon qui travaille avec quatre collaborateurs. Malgré cette hausse des charges sociales, il dit soutenir RIE III. «Le meilleur pour l’économie d’un pays, c’est d’avoir des conditions-cadres de qualité pour tous et pas des lois d’exception pour quelques-uns, dit-t-il. Laisser plus d’argent aux PME favorise l’investissement pour plus de compétitivité. Donner un coup de pouce pour les encourager à investir, à créer des emplois et encourager ainsi la consommation.»


«Pas d'avantage direct, mais... »

Géraldine Grau, directrice de la société d’électricité familiale, Monthey (VS)

L’entreprise Grau, forte de 85 employés, réalise un chiffre d’affaires annuel de 10 millions de francs. Elle procède à des installations électriques dans les cantons du Valais et Vaud. «La réforme RIE III ne nous offre aucun avantage fiscal direct car notre bénéfice se situe, en Valais, au-dessous du seuil de 150'000 francs, explique Géraldine Grau. Dans le canton de Vaud, où la réforme est déjà introduite, notre facture fiscale n’est pas non plus modifiée. Mais je suis très favorable à cette réforme car plusieurs de nos gros clients sont des multinationales très mobiles, ou des entreprises sensibles au taux d’imposition. Je pense notamment à Syngenta sur le site chimique de Monthey qui représente 2000 emplois. Les effets indirects sur une PME comme la nôtre en cas d’échec de la réforme seraient donc très sensibles. Et puis, il faut aussi penser au développement des start-up en Valais grâce à la présence de l’EPFL à Sion. Elles bénéficieront des déductions des frais de recherche et développement».


«Nous seront directement touchés»

Claude Devillard, entrepreneur, copropriétaire d’une société de bureautique, Les Acacias (GE)

L’entreprise, présente dans les cantons de Genève, Vaud, Neuchâtel et Valais, emploie une centaine de personnes et affiche un chiffre d’affaires annuel de 30 millions de francs. «La société réalise suffisamment de bénéfices pour être directement touchée par la réforme fiscale. Les taux baisseront en moyenne de 10 points de pourcentage. Notre entreprise est en mutation à cause du passage du matériel de bureau traditionnel à des appareils électroniques multifonctions connectés. Nous avons besoin d’ingénieurs formés à ces nouvelles technologies. Le gain fiscal que nous allons réaliser si la réforme RIE III est acceptée ne sera pas investi dans l’augmentation des salaires de la direction ou des dividendes des actionnaires. Il permettra d’engager 2 ou 3 ingénieurs supplémentaires. L’effet de la réforme est aussi indirect, car la moitié de nos clients sont des grandes entreprises multinationales sensibles au taux d’imposition».


«Les impôts actuels sont trop élevés»

Resat Iseni, propriétaire d’une société de couverture du bâtiment, Crissier (VD)

Tini Toiture est une PME du bâtiment employant entre trois et dix personnes selon la saison, dont le chiffre d’affaires évolue entre un et deux millions de francs. Son propriétaire, Resat Iseni, a voté oui à RIE III. «Il faut que cette réforme passe pour que nos clients, qui sont souvent de grandes entreprises, ne quittent pas la Suisse. dans le cas contraire, nous allons perdre des mandats et la Suisse subira une hausse du chômage», affirme-t-il, après avoir examiné la question avec sa fiduciaire. Pour lui-même et son entreprise, il espère une diminution de la charge fiscale, actuellement de 33%, qui lui permettrait d’acheter de nouvelles machines facilitant son travail, de préserver la santé de ses employés, voire de procéder à une ou deux embauches supplémentaires. Cela dit, les effets concrets de la réforme ne lui paraissent pas encore très clairement: «Les impôts sont actuellement trop élevés pour les entreprises. Mais je ne sais pas si la réforme va changer grand-chose pour nous».