CIO Allocation d’actifs et stratégiste quantitatif, Mirabaud Asset Management

La sortie des politiques monétaires ultra-accommodantes restera au centre des débats en cette fin d’année, mais aussi au cours de celles à venir. Le sujet concerne évidemment, et en premier lieu, la Réserve fédérale américaine.

Lors de l’un de ses récents discours, Janet Yellen a affirmé qu’il n’y avait pas, selon elle, de formation de bulle qui risquerait de déstabiliser l’économie. Dans ce sens, elle a confirmé son soutien aux achats de titres par l’institution dont elle prendra très prochainement la direction. Son président actuel, Ben Bernanke, s’est aussi exprimé sur ce thème en soulignant que le niveau de taux de chômage visé par la banque centrale ne devait pas être interprété comme synonyme de resserrement monétaire. Le but du message est évidemment de rassurer le marché, lui faire croire que l’objectif de recul du taux de chômage définit une condition nécessaire mais pas suffisante à un ton moins accommodant de la part des autorités.

En effet, l’expérience de l’été dernier a fait prendre conscience de l’importance de la rhétorique, et les banquiers centraux s’appliquent à ne point dire ce qui pourrait raviver la nervosité des investisseurs. Si le marché a été et reste dopé par les liquidités, il est légitime de se préoccuper du retour à la normalité. A l’image d’un état encore convalescent, le système économique et financier s’étant vu prescrit une série de revigorants s’inquiète de comment il vivra sans cet élément dopant…

Dans ce même esprit, les mots de «forward guidance», comme on les appelle, à savoir les projections des banquiers centraux de l’évolution de leurs taux d’intérêt à plus ou moins long terme, prennent de plus en plus d’importance. Dans ce cadre, le marché s’essaie à faire des pronostics au sujet de la date à laquelle le taux de chômage pourrait atteindre les 7% en Angleterre. Avec la progression des indicateurs de croissance économique, la date a été revue plus tôt que prévu, ce qui est associé par certains comme le signe d’un premier resserrement de la politique monétaire pratiquée outre-Manche.

Dans ce contexte, une autre grande banque centrale semble évoluer à contre-courant. Alors que le marché scrute les premiers pas d’un resserrement, ou d’un moindre assouplissement, chez les Anglo-saxons, la Banque centrale européenne laisse entrevoir l’adoption de mesures complémentaires d’assouplissement monétaire. Si l’éventualité d’un nouveau programme d’opérations de refinancement à long terme – un troisième LTRO dans le jargon financier – avait constitué le thème de l’été passé, le recul de l’inflation a permis à l’autorité de Francfort de couper son principal taux d’intérêt d’un quart de point au début du mois de novembre. Les rumeurs les plus récentes parlent désormais de l’hypothèse d’abaisser le taux de rémunération des dépôts en territoire négatif.

Cette nouvelle mesure aurait comme finalité d’inciter les banques commerciales à faire usage de leurs liquidités excédentaires. Autrement dit, les décourager à thésauriser les dépôts à la banque centrale dans une volonté de doper l’octroi de crédit pour stimuler l’économie. En effet, si la zone euro vient de sortir de sa plus longue récession, le taux de croissance moyen reste à ce jour anémique. En sus, les indicateurs avancés ont de la peine à décoller, ceux-ci ayant notamment rechuté en France de manière inquiétante.

En somme, le marché se prépare à un ton moins accommodant de la part des autorités monétaires, dans les pays où la croissance économique montre des signes encourageants à vouloir prendre son envol. C’est notamment le cas de l’Angleterre et des Etats-Unis. En Europe continentale, les taux d’activité restant très faibles, la politique monétaire pourrait encore venir soutenir l’économie par une plus grande souplesse. Au contraire, dans le monde émergent, la croissance en décélération est mise sous pression par l’application d’une politique monétaire déjà plus restrictive dans de nombreuses régions.

En termes d’allocation d’actifs, un biais haussier sur les actions peut être justifié pour les pays dans lesquels il y a accélération de la croissance ou des liquidités. Au contraire, ces arguments ne peuvent être avancés pour les pays qui subissent l’inflation, et qui tentent de la juguler par des hausses de taux d’intérêt. A cet égard, nous continuons de recommander la surpondération des marchés développés, alors que dans le monde émergent, un jour meilleur est attendu pour augmenter l’exposition aux pays qui sont confrontés à un important déficit de leurs comptes courants. Suivant le raisonnement évoqué, cet avis de forte prudence ne concerne toutefois pas les pays qui jouissent de solides fondamentaux, tels que ceux qui se situent au nord de l’Asie, notamment.

Les projections des banquiers centraux de l’évolution de leurs taux d’intérêt à plus ou moins long terme prennent de plus en plus d’importance