«Il y a bien eu quelques actions marketing, quelques frémissements. Mais pas de mouvement de fond sur les prix», déplore aujourd’hui Nadia Thiongane, économiste auprès de la Fédération romande des consommateurs (FRC) et responsable du «baromètre des prix» de l’organisation.
«En fait, reprend cette dernière, la situation varie fortement d’un secteur à l’autre. Dans les jouets, il y a eu peu de changements. Mais dans le secteur cosmétique, par exemple, Manor a rectifié le tir en s’alignant sur Coop et Migros.» La FRC réalise en ce moment même son 3e coup de sonde dans ce segment. Sur 71 produits, 14 ont vu leur prix baisser depuis février. «Il y a aussi beaucoup d’actions, signale la responsable. C’est peut-être un moyen de freiner le tourisme d’achat. Car, fondamentalement, l’écart avec les pays voisins ne change pas.»
Ces dernières semaines, Le Temps a réalisé son propre pointage (voir tableau). L’exercice amène un constat: quelques efforts, parfois même conséquents, ont été concédés. Mais ils sont plutôt isolés. A qui la faute? «Nous avons toujours dit qu’il fallait répercuter les effets de change. Mais au final, c’est le commerce de détail qui définit le prix de vente, non le producteur», répond Anastasia Li-Treyer, directrice de l’Union suisse de l’article de marque ProMarca, qui compte Coca-Cola, Nestlé ou Ferrero parmi ses 95 membres.
Selon un sondage anonyme réalisé en 2011, «trois quarts de nos membres [avaient] effectivement répercuté les effets du franc fort», explique-t-elle. Ainsi, durant cette période, «les distributeurs en ont doublement profité. En gagnant sur les baisses des prix concédées par les marques et en jouant le rôle des défenseurs du consommateur dans des campagnes de communication», estime Anastasia Li-Treyer.
A ce titre, Nadia Thiongane suppose que, si les prix à la consommation mesurés par l’OFS ont malgré tout reculé depuis deux ans, c’est en partie grâce aux marques «maison» des distributeurs, sur lesquelles des baisses de prix ont été consenties. «C’est intéressant pour eux. Cela leur permet de se différencier du produit de marque», note-t-elle.
De son côté, Migros soutient aujourd’hui «avoir répercuté toutes les baisses possibles sur les prix payés par le consommateur». Mais s’agace encore «de devoir payer à certaines marques internationales des prix plus élevés que [ceux pratiqués] dans les pays voisins». Le géant orange affirme devoir débourser davantage que les consommateurs allemands pour certains produits. Il indique en revanche avoir procédé à des baisses globales de prix de 4% entre 2010 et 2011 et de 1,4% entre 2011 et 2012.
Pour des raisons méthodologiques, la FRC ne s’intéresse qu’aux marques, comparables d’un pays à l’autre. Et même ainsi, l’exercice a ses limites: il est courant qu’elles n’usent pas du même emballage en Suisse, en France ou en Allemagne. La quantité diffère, les formules évoluent, des nouveautés sont apportées. «Des stratagèmes couramment utilisés», qui compliquent les analyses, souligne Nadia Thiongane. De même, entre 2011 et 2013, «une comparaison directe n’est guère possible, explique un porte-parole d’Amag, l’importateur de voitures. De nouvelles générations sont arrivées, les packs d’équipements ont évolué. Il est difficile de trouver un modèle identique à il y a deux ans.»
Pour Anastasia Li-Treyer, de ProMarca, comparer les prix sur différents marchés n’a que peu de sens. «Ce n’est pas le prix de revient qui définit le prix de vente d’un produit. Il faut tenir compte des spécificités du marché qui peuvent générer des coûts supplémentaires ainsi que des obstacles au commerce, qui ne doivent pas être sous-estimés.»
Si, comme à l’été 2011, importateurs et distributeurs se renvoient la faute, l’exercice aura au moins «permis de stimuler la concurrence», selon Nadia Thiongane. Insuffisant pour ProMarca, dont la directrice en souhaiterait «davantage dans le marché de la distribution en Suisse». Cela «a été un moment important, se souvient en tout cas le président de la Commission de la concurrence (Comco), Vincent Martenet. Beaucoup de regards se sont tournés vers nous. Cela nous a permis de clarifier notre rôle: intervenir lorsque nous observons un cloisonnement du marché, mais nous ne régulons pas les prix.»
Aujourd’hui, Nadia Thiongane est frappée par le mutisme de ceux qu’elle interpelle. «Nous demandons souvent des explications aux distributeurs ou aux marques. Mis à part l’argument des différentiels de salaires entre la Suisse et l’étranger, nous recevons rarement des réponses concrètes.»
Au final, la FRC se sent un peu isolée. «Personne ne nie l’îlot de cherté suisse. Mais, en réalité, personne ne fait grand-chose pour que cela change.»
Le nombre de plaintes «a clairement baissé», confirme le président de la Comco. Parce que les gains de change ont été partiellement répercutés – «dans le secteur automobile ou celui du commerce de détail» –, parce que certaines entraves aux importations parallèles sont tombées et, finalement, parce que cette problématique est moins médiatisée, énumère Vincent Martenet. Elle n’a toutefois pas disparu de son radar: «Après nos deux enquêtes les plus emblématiques, sur BMW et les livres, d’autres sont encore en cours.»