Pour la première fois de son histoire le port du Pirée, l'un des plus grands ports en Méditerranée orientale, passe aux mains des entrepreneurs chinois. Pas n'importe lesquelles, celles du géant Cosco, numéro 5 du secteur des transports dans le monde, qui pour au moins 35 ans va désormais gérer le centre des conteneurs du port grec. But de l'opération, étendre et moderniser Le Pirée pour atteindre une capacité de 3,7 millions de conteneurs par an, contre 1,6 million actuellement.

Pour Pékin, il s'agit avant tout d'offrir aux produits chinois un accès aux marchés de l'Union Européenne et des Balkans via les ports stratégiques grecs, mais pas seulement. Au grand dam de l'Union européenne, la Grèce sera aussi la station de «labellisation EU» des produits chinois, qui obtiendront par un tour de passe-passe juridique leur certification et leur transformation avant leur mise en vente sur les marchés européens. Pour Athènes, qui empoche au passage 4,35 milliards d'euros (6,7 milliards de francs), il s'agit d'accélérer la privatisation des ports du pays entamée il y a deux ans et d'assurer à moindres frais une modernisation des infrastructures maritimes qui s'imposait.

C'est au bénéfice du transfert d'expérience des Jeux olympiques entre Athènes et Pékin, que la coopération gréco-chinoise a connu une intensification spectaculaire ces dernières années, renforcée par les liens privilégiés de la famille de l'ancien premier ministre grec Konstantin Mitsotakis et de sa fille, Dora Bakoyianni, l'actuelle ministre des Affaires étrangères. L'intérêt chinois pour la région est confirmé par les négociations en cours avec Hutchinson Whampoa, groupe chinois de Hongkong et numéro 1 mondial dans le secteur de transports. Cette fois-ci, c'est le port de Thessalonique, dans le nord, débouché naturel des Balkans sur la Méditerranée, qui est visé. D'où la construction de la nouvelle liaison ferroviaire entre Le Pirée et Thessalonique. Promise depuis des années elle sera opérationnelle d'ici les premiers mois de 2009 et devrait faciliter le transport des produits vers les Balkans.

Dockers mécontents

Les échanges commerciaux entre la Grèce et la Chine ont atteint 3,4 milliards de dollars (4,1 milliards de francs) en 2007, et les exportations chinoises vers la Grèce ont doublé cette année. Tout le monde semble donc content, sauf les dockers du Pirée qui, malgré une grève très dure l'année dernière, n'ont pas réussi à assurer leur avenir au sein du nouvel accord. Ils manifestaient hier avec des pancartes «Cosco go home» devant le parlement au moment de la signature de ce contrat historique. «C'est juste pour la beauté du geste, indique Petros Charilaos, docker. Le Pirée ne sera plus jamais ce qu'il était.»

La marine marchande grecque non plus. Les armateurs grecs, en tête de la flotte mondiale, ont ces dernières années commandé 415 cargos ou tankers aux chantiers navals chinois, d'une valeur de 16,9 millions d'euros. Mais les chantiers navals chinois sont devenus une menace pour eux. «Ils ont les produits, on a les bateaux», disait Evripidis Stylianidis, artisan de cette coopération gréco-chinoise lorsqu'il était ministre délégué des Affaires étrangères en 2006.

Mais avec leurs cinq chantiers navals, les Chinois ont désormais la capacité de construire leurs propres bateaux et de devenir ainsi leur propre transporteur. Vassilis Papageorgiou, le Monsieur Chine du groupe Tsacos, l'un des plus actif en Chine, se veut rassurant: «Pour les vingt ans à venir, dit-il, on est tranquille, le marché chinois est très soutenu et leur demande de transport en matières premières, même avec la crise, reste important. Par la suite, cela risque effectivement de poser problème. On avisera.»