«Deux collaborateurs ont voulu déplacer leurs vacances à cause du coronavirus. Ils avaient déjà eu des soucis pour annuler leur voyage, se faire rembourser… Je n’allais pas en plus leur imposer deux semaines de vacances à la maison!» Wajdi Baccouche est fondateur et directeur de la société Eminence, agence de marketing digital à Genève, qui compte une quinzaine de collaborateurs. Face à la requête de ses employés concernant des congés en avril et en juillet, il s’est montré compréhensif. «C’était un choix humain, pour le bien de l’équipe.»

Quant à savoir si le report de ces congés à l’automne posera problème, le directeur ne se montre pas trop inquiet. «Bien sûr, il y a un risque que nous soyons en effectifs plus réduits plus tard dans l’année et que nous subissions une certaine pression pour les délais, souligne-t-il. Mais nous avons de toute façon des règles pour que tous ne prennent pas leurs vacances en même temps, dont celle de les annoncer au moins deux mois à l’avance pour pouvoir s’organiser.»

Jouer la montre

En cette période de semi-confinement et de fermeture des frontières, certains souhaitent remettre leurs vacances à plus tard, pour espérer partir en voyage. Mais le phénomène n’est pas massif pour autant, assure David Gaudin, cofondateur et administrateur d’Uneo, une société fiduciaire et d’assurances. «Dans les petites structures, les employés n’ont souvent pas encore posé leurs vacances, la question de les reporter n’existe donc pas encore. Le report se constate davantage dans les sociétés plus grandes.»

Mais dans nombre d’entreprises, le risque est de voir les collaborateurs tarder à demander leurs congés en attendant des jours meilleurs. «Pour beaucoup de sociétés, la question des vacances n’est pour l’instant pas une priorité, elles sont occupées à trouver de nouveaux marchés, à développer de nouveaux produits, analyse le cofondateur d’Uneo. Mais si l’employeur attend que les collaborateurs prennent leurs vacances et que personne ne le fait avant la sortie de crise, le problème pourrait être de se retrouver à l’automne avec des employés qui ont encore la majorité de leurs vacances à prendre.»

L’ombre de la reprise

Les conséquences d’une telle situation pourraient s’avérer problématiques, juge David Gaudin. «Il faut veiller à ne pas se retrouver en sous-effectifs quand l’économie va repartir et qu’il va falloir absorber des gros dossiers, de nouveaux chantiers, etc. Sinon la charge de travail va se répartir sur d’autres collaborateurs, pour qui ce sera difficile, et cela va engendrer des heures supplémentaires qui devront être reprises ou compensées en liquidités.» Il évoque aussi le risque de décaler ainsi les projets et donc l’encaissement du chiffre d’affaires dans les mois qui suivront.

Pour éviter ce genre de situation, certains ont demandé à leurs employés de ne pas reporter leurs vacances prévues pendant ce semi-confinement. C’est notamment le cas du Centre de perfectionnement interprofessionnel à Fribourg, qui compte une trentaine de collaborateurs. «C’est aussi ce que le canton de Fribourg, dont nous sommes partiellement dépendants, avait demandé, commente Eveline Branders, directrice du centre. Certains étaient un peu déçus parce qu’ils espéraient faire autre chose que de passer du temps ici, mais ils ont bien compris.»

Si cette demande a été faite, c’est que le Centre de perfectionnement interprofessionnel se prépare déjà à la rentrée. «Nos activités étant très liées au marché des demandeurs d’emploi, nous nous attendons à une grosse reprise dès septembre, il nous faudra donc être très disponibles, estime Eveline Branders. Nous avons aussi encouragé à déplacer les vacances prévues cet automne plutôt sur l’été.»

Interdiction de report

Interdire aux employés de prendre leurs vacances sur une période, leur demander de les prendre ou ne pas les autoriser à les déplacer pour diverses raisons, toutes ces options sont possibles, confirme Olivia Guyot Unger, directrice du service assistance juridique et conseils de la Fédération des entreprises romandes Genève (FER Genève). «Nous avons vu que le personnel médical a été interdit de vacances, mais cela peut s’étendre à d’autres types d’entreprises, selon les besoins.» Elle complète: «Dans le Code des obligations, il est écrit que l’employeur fixe la date des vacances d’abord dans l’intérêt de l’entreprise, et ensuite selon le souhait des employés, et ceci même hors crise.»

La spécialiste confirme que la question des vacances est à prendre au sérieux en cette période: «Si tout le monde pose des vacances dès que les frontières rouvrent, il va en effet y avoir un problème.» Elle rappelle que des vacances non prises en 2020 pourraient être reportées sur une période de cinq ans, «mais il est impossible de payer des vacances, qui sont des temps de repos qui doivent être pris, tant que dure le rapport de travail».

En cas de reprise intense en septembre et d’embouteillage de vacances, la charge de travail pourrait donc peser sur le dos de ceux qui restent. Et certains pourraient, aussi, se voir refuser les vacances tant attendues.