Les lézardes s’accumulent dans les trois piliers de la prévoyance, comme en témoigne un sondage de M.I.S. Trend pour «Le Temps». Les jeunes sont promis à un niveau de vie et donc à une retraite inférieurs à ceux de leurs parents
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La retraite sans souci, ce n’est pas pour demain. Selon le sondage 2021 de M.I.S. Trend pour Le Temps, 65% des 45 à 65 ans se disent préoccupés par le revenu qu’ils obtiendront au sortir de leur vie professionnelle. Les sondés ne sont que 20,2% à espérer maintenir leur niveau de vie, un objectif pourtant inscrit dans la Constitution.
Les indices de détérioration abondent. Les Suisses sont 57% à croire que les jeunes auront un niveau de vie et donc une retraite légèrement ou très inférieurs à ceux de leurs parents. Ils ne sont que 16,8% à anticiper une amélioration. Les Suisses vont-ils vendre leurs avoirs les plus précieux? Une forte minorité (45,1%) de propriétaires de plus de 45 ans craignent qu’à la retraite ils devront se séparer de leur maison faute d’un financement suffisant.
Les personnes interrogées sont tout à fait conscientes qu’elles sont les premières responsables de ce qu’elles toucheront à la retraite (41,6%), et non pas l’Etat (35,5%). Mais elles n’ont pas toutes les cartes en main. Les réformes nécessaires à l’adaptation au vieillissement démographique – l’espérance de vie est de 83 ans, contre 68 ans à lors de l’introduction de l’AVS –, à la quasi-stagnation des salaires et à la baisse des taux d’intérêt sont bloquées depuis des années.
Regards sur les caisses de pension
La santé de la caisse de pension est scrutée d’un regard sceptique. Les sondés sont 53% à se préoccuper de la situation de leur prévoyance professionnelle, contre 51% lors du sondage de l’an dernier. Lorsqu’un service est fourni comme prévu et qu’il est offert à un faible coût, personne ne s’intéresse aux détails de son fonctionnement. Il en va autrement lorsqu’il ne répond plus à ses promesses. C’est un peu ce qui se produit avec le système de prévoyance, et notamment avec l’AVS et la prévoyance professionnelle. Car le 3e pilier, fruit de l’épargne individuelle, est, lui, au bénéfice d’une très bonne image.
Il faut se féliciter de voir que les Suisses sont de mieux en mieux informés, mais est-ce que cet intérêt n’est pas le fruit d’une inquiétude croissante? Comment comprendre que les sondés soient aussi nombreux (un taux de 62,9%) à connaître les rentes enfants/conjoints en cas de décès? La lecture du certificat annuel de la caisse de pension est-elle devenue un sport populaire?
Les autorités tentent de réformer le système, et surtout de présenter des formules susceptibles d’obtenir une majorité devant le peuple. L’AVS et la prévoyance professionnelle seront traitées au parlement lors de la session d’automne. L’urgence est de mise, car les lézardes s’accumulent sur l’édifice. Les blocages politiques sont si forts que la NZZ, dans un article d’une page, se demande si la prévoyance n’est pas un témoin des «limites de la démocratie directe».
Redistributions
La redistribution des jeunes vers les vieux a été évaluée à 6 milliards de francs par an pour le seul 2e pilier. L’ajustement tarde d’autant plus facilement à Berne que les personnes les plus proches de la retraite sont, par rapport aux jeunes, les plus actives dans la défense de leurs acquis. De plus, elles n’ont pas envie de travailler plus longtemps. Comme l’indique Jérôme Cosandey dans l’interview qu’il nous a accordée, les jeunes trouvent, eux, tout à fait normal de coupler l’âge de la retraite à l’espérance de vie. Au parlement, apparemment ce n’est pas «faisable».
La réforme de l’AVS discutée au parlement contient des mesures qui seront à 90% financées par des augmentations de cotisations et de nouveaux transferts. Les jeunes en paieront les frais durant 40 à 50 ans et les seniors une poignée d’années.
L’inégalité de traitement entre personnes aisées et modestes s’ajoute au conflit de générations même s’il n’est sans doute pas un facteur de succès dans les combats politiques. «Plus on s’attaque à la redistribution entre les générations (par l’augmentation de l’âge de la retraite et la baisse du taux de conversion) et moins on réduit la redistribution des hauts revenus vers les salaires modestes. C’est pourquoi la gauche n’est pas pressée de réformer le système», analyse la NZZ.
Les spécialistes de la théorie des choix publics peuvent longuement débattre des causes de ces blocages, du manque d’intérêt pour les victimes ou de la complexité du sujet. Mais plus on tarde à trouver des solutions, plus le nombre de victimes augmente et plus la confiance s’effrite. La situation deviendra-t-elle explosive?
La réforme proposée par les partenaires sociaux accroît la redistribution de haut en bas. Elle introduit une mesure, financée par une cotisation proportionnelle au salaire, qui donnera droit à un supplément de rente viagère d’un montant fixe quel que soit le niveau de revenu. Elle introduirait aussi une sorte de mini-AVS à l’intérieur du 2e pilier!
Pour le 2e pilier, une piste non explorée, parce que non politique, consisterait à améliorer la performance des caisses de pension. Un rendement plus élevé de 1% conduit à une hausse des rentes de 20%, selon Willis Towers Watson. «La victoire du match, dans le deuxième pilier, dépend des placements», confirme l’étude 2021 de Swisscanto. Les écarts de rendements sont en train d’augmenter et n’ont que rarement été aussi larges. La meilleure caisse de pension enregistre un rendement trois fois supérieur à la moyenne. Or les instituts de prévoyance qui souffrent de problèmes structurels investissent le plus dans les produits probablement les plus risqués du moment (obligations, immobilier).
Comme les taux de conversion ont chuté et que les promesses de retournement sont encore minimes, on comprend que les assurés sont prêts à prendre des risques. Dans le sondage, 40% choisiraient d’investir en bourse plutôt que dans leur caisse de pension. A la question piège du choix entre 1 million de francs de capital ou 48 000 francs de rente annuelle, 41% des sondés préfèrent le capital, et même 46% au sein des 45 à 65 ans. Sur le plan économique, le résultat est tout à fait rationnel si l’on sait que le taux de conversion continue de fondre.