Première préoccupation des Suisses, pour les jeunes et les moins jeunes, la prévoyance protège inégalement les individus dans une société en rapide changement. Le système de retraite peine à intégrer les parcours non traditionnels. «C’est de la pré-«voyance». La prévoyance est en fait une boule de cristal. Les spécialistes, les actuaires, sont des théologiens dans la mesure où ils nous demandent de croire ce qu’ils disent», lance Maxime Morand, fondateur de la société de conseil en ressources humaines Provoc-Actions, lors de la dernière des trois conférences du Forum Prévoyance organisé en ligne les 3, 10 et 17 septembre par Le Temps avec le soutien du Groupe Mutuel.

Diversité des parcours

Les perspectives de rente sont inégales selon les parcours individuels. Et les pièges de prévoyance également. Discutant avec deux jeunes mamans quadragénaires vivant en concubinage, Marlène Rast, membre de la direction du Groupe Mutuel, leur a demandé pourquoi elles n’étaient pas mariées en dépit d’une moindre couverture en cas de décès. L’une lui a répondu: «Je signe un contrat lorsque j’achète ou je vends quelque chose. Or je ne suis pas à vendre.» Un choix qui conduit à des conséquences négatives à la retraite.

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Aujourd’hui, 60% des femmes travaillent à temps partiel, contre seulement 10% des hommes. Marlène Rast prend l’exemple fictif de trois femmes de 40 ans ayant chacune un enfant et un revenu mensuel de 6000 francs (équivalent plein-temps).

Deux vivent avec un concubin depuis six ans, Emilie (activité à 100%), Justine (activité de 60%, soit un salaire de 3600 francs). Une troisième est mariée: Isabelle (activité à 60%, soit 3600 francs, avec un plan de prévoyance qui prend en compte son taux d’activité réduit).

Toutes ont un revenu de 6000 francs (EPT), mais la rente de 2e pilier d’Emilie sera de 1600 francs, celle de Justine de 900 francs et celle d’Isabelle de 1100 francs. Le meilleur taux de remplacement est ainsi obtenu par une personne qui ne travaille qu’à 60%, mais dont le taux d’activité est pris en compte par sa caisse. Il en ressort aussi que la rente totale, y compris l’AVS, ne dépassera 3000 francs pour aucun des trois exemples, déplore Marlène Rast.

Des caisses de pension sûres

Les caisses de pension sont certes tenues de respecter des règles minimales. Environ 15% de la population est concernée par ce minimum, selon les orateurs. Cela n’empêche pas Maxime Morand de trouver la prévoyance «belle parce que multiple et flexible». Mais elle est si complexe qu’il est vivement conseillé de s’informer (et de cotiser) très tôt, et, si possible, d’ajouter un 3e pilier individuel, selon l’ensemble des experts du Forum Prévoyance.

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Catherine Pietrini, vice-présidente de la Commission de haute surveillance de la prévoyance professionnelle, confirme que l’assuré n’est plus, comme en 1985, un homme qui passe plus de quarante ans dans la même entreprise. Aujourd’hui, pour caricaturer, elle montre que «l’assuré change cinq fois d’entreprise, se marie, a des enfants, fait un retrait pour l’acquisition de sa maison, divorce, fait un coming out, puis se pacse et prend une retraite anticipée».

Si les nouvelles rentes diminuent en raison de la baisse du taux de conversion, la situation est particulièrement grave pour les indépendants, selon les orateurs. De nombreux médecins, petits patrons de PME et architectes n’ont pas de 2e pilier. Dans le canton de Vaud, la rente annuelle moyenne des indépendants n’est que de 19 000 francs, affirme Maxime Morand. Le consultant présente trois recommandations: augmenter l’AVS pour que celle-ci soit décente en relevant la TVA, rendre obligatoire le 2e pilier pour tous toutes les personnes ayant un revenu, et profiter des avantages fiscaux du libre passage.

Dans une Suisse qui accueillera 10,4 millions d’habitants en 2050 (contre 8,6 millions en 2019), dont 29% de personnes âgées de 65 ans et plus, les questions de financement ne devraient guère s’améliorer, selon la futurologue Virginie Raisson. Des «tensions sont d’ailleurs possibles», comme l’a indiqué Bruno Parmisari, directeur suppléant de l’Office fédéral des assurances sociales. Mais «les caisses de pension ont su s’adapter pour rendre leurs institutions plus sûres», selon Catherine Pietrini.

Le 2e pilier n’est d’ailleurs pas qu’un compte d’épargne. Il est complexe, hybride et parfois monstrueux parce qu’il intègre beaucoup d’éléments, y compris une composante d’assurance, rappelle Graziano Lusenti, fondateur de Lusenti Partners. Le système est toutefois un peu «sclérosé en raison de l’abondance des contraintes», conclut-il.