Jérôme et Patricia Cahuzac devront revenir à partir du 5 septembre devant les magistrats de la 32ème chambre du tribunal correctionnel de Paris, à l’issue de l’examen de l’une des questions posées sur la constitutionnalité (QPC) ou non des poursuites pénales relatives à la régularisation de leur situation vis à vis l’impôt sur la fortune (ISF).

Le tribunal qui a transmis cette question à la Cour de Cassation – laquelle peut ensuite solliciter l’avis du Conseil constitutionnel – a en revanche refusé de prendre en compte les questions identiques relatives à la fraude à l’impôt sur le revenu durant la période incriminée. Cette décision est similaire à celle prise par les juges français dans le cadre du procès du marchand d’art Guy Wildenstein le 6 janvier dernier. Celui-ci, accusé de fraude à l’impôt sur les successions, avait vu son procès interrompu au lendemain de son ouverture en raison d’une QPC. Celui-ci devrait reprendre en mai prochain.

L’ancien ministre Français du budget et son ex-épouse comparaissaient depuis lundi matin pour «fraude fiscale» et «blanchiment de fraude fiscale», épilogue judiciaire de l’énorme scandale politico-financier ouvert fin décembre 2012 par les révélations de Mediapart sur la détention, par l’ex élu socialiste, d’un compte bancaire non déclaré en Suisse, délocalisé en 2009 à Singapour. Trois autres prévenus sont poursuivis à leurs côtés pour «blanchiment de fraude fiscale» en ce qu’ils «auraient participé activement à la dissimulation des avoirs de Jérôme Cahuzac»: la banque genevoise Reyl et Cie, son dirigeant François Reyl et l’avocat-consultant Philippe Houman, ancien administrateur d’une filiale de Reyl. La banque Reyl, qui conteste la régularité de l’ordonnance de renvoi, n’a pas pu faire valoir son point de vue en ce début de procès, les juges ayant choisi d’entendre seulement l’exposé des questions prioritaires de constitutionnalité.

Fait important en matière de justice fiscale, et point crucial pour les Français détenteurs de comptes bancaires non déclarés à l’étranger amenés à régulariser leur situation via le paiement de pénalités et susceptibles d’être poursuivis, ce report du procès a néanmoins donné l’occasion au président du tribunal, Peimane Ghaleh-Marzban, de faire une leçon de droit. Ce dernier a ainsi confirmé que, malgré la somme relativement modique de pénalités acquittée lors de la régularisation de leur situation au regard du fisc en 2014 au titre de l’ISF – 46 553 euros alors que le litige sur la succession Wildenstein porte, lui, sur des centaines de millions d’euros – les époux Cahuzac sont fondés à s’interroger sur la légitimité des poursuites pénales et sur le risque de double peine.

Assurer la sécurité juridique

«Le tribunal a la responsabilité d’assurer la sécurité juridique de ce procès» a affirmé le président à l’issue de son long exposé. Le parquet national financier avait estimé lundi que le faible pourcentage des pénalités fiscales infligées (1,44% du patrimoine au maximum) ne peut pas être comparé à la sévérité des 7 ans d’emprisonnement et un million d’euros encourus au pénal (plus diverses privations de droits) pour fraude fiscale et blanchiment, et qu’il ne s’agit donc pas de peines «équivalentes». «Quelle étrange conception que de mettre ainsi l’argent sur le même piédestal que les libertés individuelles» avait tonné le procureur, pour demander le rejet la QPC. Ce que les juges n’ont pas suivi dans le cas de l’impôt sur la fortune, renvoyant à la Cour de cassation le soin de statuer: «Le montant représenté par les 1,44% ne connaît pas de limite théorique, car les patrimoines ne sont pas limités» ont-ils statué, ajoutant: «La corrélation peut heurter la morale, mais les sommes payées peuvent équivaloir à des peines d’emprisonnement». La protection des personnes poursuivies étant au centre de ce débat très compliqué, la transmission à la Cour de cassation a été saluée: «Il s’agit d’une réelle avancée du droit. D’autres procès, pas seulement les plus médiatisés comme celui-ci, seront impactés» a reconnu l’avocat du fisc français Me Xavier Normand-Bodard. En raison de leurs différences juridiques, les procédures de poursuites pour fraude à l’impôt sur le revenu et fraude à la TVA ne bénéficient pas d’un traitement identique au regard de leur constitutionnalité ou non.

Une ex-épouse retraitée

Jérôme Cahuzac et son ex-épouse (ils ont finalement divorcé en novembre 2015 à l’issue de cinq ans de procédure) sont restés silencieux tout au long de la première journée d’audience, sauf lorsqu’ils ont répondu aux questions sur leur état-civil. Ils devront donc encore attendre avant de s’expliquer. De façon assez contradictoire, l’ancien ministre du budget avait pourtant affirmé, via ses avocats, qu’il souhaite «être jugé le plus vite possible» et qu’il «n’exercera pas de recours».

Alors que Mme Cahuzac, chirurgien spécialisé dans les implants capillaires, poursuit ses activités médicales, l’ex maire de Villeneuve-sur-Lot s’est présenté à l’audience comme «retraitée». Le report du procès en septembre promet de continuer à empoisonner le quinquennat de François Hollande, qui avait confié les rênes d’une intensification sans précédent de la lutte contre la fraude fiscale à celui que la presse française surnomme désormais unanimement «le menteur». «Je n’ai pas, je n’ai jamais eu de compte à l’étranger, ni maintenant, ni avant» avait asséné Jérôme Cahuzac, lui-même ancien président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, devant les députés, le 5 décembre 2012. Avant de démissionner du gouvernement le 19 mars 2013, puis de passer aux aveux quelques jours plus tard.


Précision: Contrairement à ce qu’une lecture hâtive de l’article du Temps «Régularisations fiscales, l’autre débat» du 8 février pouvait laisser penser, la banque Reyl précise que «Le 5 Janvier 2016, après des mois d’enquêtes ses dirigeants, Francois Reyl et Dominique Reyl, ont obtenu un non-lieu total et définitif dans le cadre d’une instruction ouverte en 2013 par les juges d’instruction français concernant quelques dizaines de personne. La banque Reyl & Cie a également obtenu un non-lieu, à l’exception de 6 clients, dont aucun n’est politiquement exposé et qui représentent des avoirs totaux de 4,8 millions d’euros, s’acquittant dans ce cadre d’une amende de 2,8 millions d’euros».


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