Pour la professeure de marketing Sabine Emad, «les jeunes ont raté l’opportunité de changer»
Consommation
Auteure d’une étude sur les comportements d’achat des Genevois pré- et post-pandémie, Sabine Emad est «déçue» du résultat. La professeure de marketing à la HEG de Genève s’attendait à ce que le covid alimente une prise de conscience socio-environnementale. Mais les vieilles habitudes semblent vouloir reprendre le dessus

La révolution consumériste n’aura pas lieu. C’est la conclusion à tirer d’un sondage réalisé auprès d’un millier de Genevois et en trois phases. Une première en 2019, année de la mobilisation climatique. Une deuxième lors d’une année 2020 marquée par la pandémie. Et la troisième en 2021, période qui doit conduire à un retour vers la normalité.
Mais quelle normalité? C’est la question à laquelle cette étude tente de répondre. Ses résultats seront présentés ce jeudi à Genève par Sabine Emad, professeure de marketing à la Haute Ecole de gestion (HEG) de Genève, à l’occasion d’une conférence sur les préférences des jeunes générations en termes d’emploi et de consommation, organisée par la HEG, en partenariat avec Le Temps.
Le Temps: Votre étude montre que les millennials et la génération Z sont ceux qui accordent le moins de valeur à la proximité de ce qu’ils achètent. Vous êtes déçue?
Sabine Emad: Oui, je suis déçue. C’est un résultat contre-intuitif, parce que ce sont a priori les générations qui devraient être les plus préoccupées par l’avenir de notre planète et donc, notamment, par ces questions de proximité. On peut toutefois nuancer ces résultats en considérant que les plus jeunes sont plus exigeants avec eux-mêmes, et se montrent donc plus critiques vis-à-vis de leur comportement que des personnes plus âgées. Ce sont aussi les générations qui, a priori, privilégient le prix parce que leur pouvoir d’achat est moins élevé.
Ces résultats donnent toutefois du grain à moudre à ceux qui pointent les contradictions de ces jeunes qui «manifestent pour le climat avec une batterie en lithium dans la poche».
Il est difficile d’avoir un téléphone portable sans batterie au lithium… En revanche, il est décevant de constater que les choix simples, comme privilégier un producteur du coin ou un commerçant suisse plutôt que d'acheter en France ou sur des grands sites internationaux, ils ne les font pas non plus.
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Vous ne constatez aucune différence entre les comportements d’avant et d’après le semi-confinement?
On observe que les vieilles habitudes ont repris le dessus, parfois même davantage qu’avant la pandémie. On pouvait pourtant s’attendre à ce que le covid soit un déclencheur qui allait mener à une prise de conscience. Cela a été le cas en 2020, mais cela n’a visiblement pas duré. Les jeunes ont raté l’opportunité de changer leur comportement.
Avez-vous des indications sur la classe sociale de vos répondants?
Je n’ai pas encore eu le temps de l’analyser. Pour l’instant, j’ai seulement utilisé une grille de lecture générationnelle, avec une catégorisation précise, comme celle qu’utilisent les instituts de statistiques. Mais il sera évidemment intéressant de lire ces résultats à l’aune des niveaux de revenus, pour en tirer des conclusions supplémentaires.
Parlons des plus âgés. Que ressort-il de ces sondages à leur propos?
Ils ont évidemment d’autres habitudes. Peut-être est-ce lié à des contraintes de mobilité, mais ils semblent consommer de manière plus «patriotique». Ils comparent également moins les prix sur internet que les plus jeunes, sont moins opportunistes et restent donc plus fidèles à une plateforme, tant que le produit qu’ils recherchent est disponible. Mais il est aussi intéressant de constater que les baby-boomers semblent davantage songer à l’avenir de leurs petits-enfants que la génération suivante, c’est-à-dire les parents, qui ont peut-être moins de recul sur leur consommation de tous les jours.
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