Pharma
Le patron du laboratoire américain, Stéphane Bancel, a fait part de sa stratégie à l’agence AFP. Il veut construire des usines dans de nombreuses régions du monde, notamment pour contourner d’éventuelles restrictions à l’exportation

Des discussions sont en cours entre Moderna et l’Elysée en vue d’une éventuelle implantation d’une usine en France. C’est ce qui ressort d’un entretien que le patron du groupe de Boston, à l’origine de l’un des premiers vaccins à ARN messager contre le Covid-19, Stéphane Bancel, a accordé à l’AFP.
«Il y a des discussions régulières au plus haut niveau de l’Etat, y compris il y a quelques jours. Je sais qu’il y a un désir fort du président de la République», indique le patron du laboratoire américain. «Comme toujours, il faut qu’on se mette d’accord. Nous n’en sommes pas encore là, mais je pense qu’on fait des progrès. On continue à parler: c’est bon signe», sourit-il.
Peu de vaccins français
Ce serait un retour aux sources pour le patron de la biotech, Marseillais d’origine ayant émigré aux Etats-Unis il y a des années, après un passage chez le géant français du diagnostic BioMérieux, à Lyon. Le sujet d’une implantation dans l’Hexagone n’est pas anodin.
La France n’a, malgré son histoire scientifique, pas développé de vaccin contre le Covid-19 avant juin 2022, lorsque la biotech Valneva a obtenu le feu vert de l’Union européenne. Celui du géant français Sanofi, n’a lui, obtenu l’autorisation européenne que jeudi, près de deux ans après ceux de Moderna et du tandem Pfizer-BioNTech.
Au-delà du cas particulier de la France, le PDG de Moderna juge essentiel de construire des usines dans plusieurs régions du monde. Il vient de poser la première pierre d’un site de production au Canada. D’autres vont voir le jour en Australie, en Angleterre et au Kenya.
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La pandémie a mis sur le devant de la scène les questions d’inégalité d’accès aux vaccins et aux traitements, les pays riches étant les premiers servis. Face à cela, Moderna s’est engagé à ne pas opposer ses brevets pendant la pandémie. La société a toutefois récemment lancé une procédure contre Pfizer-BioNTech pour violation de ses brevets.
Brevets et inégalités vaccinales
Stéphane Bancel concède que certains grands scientifiques, dans l’histoire de la médecine, ont refusé de déposer des brevets. «Mais il s’agissait de chercheurs qui venaient du monde académique. Ce n’est pas envisageable pour une société privée. Moderna a dû lever trois milliards de dollars de fonds pour créer la plateforme qui était prête lorsque le virus est arrivé», défend-il.
L’ingénieur de formation estime que l’inégalité vaccinale a d’autres origines que les brevets, la volonté des grandes puissances de garder les vaccins. «L’administration Biden nous a interdit d’exporter nos vaccins durant la première partie de 2021, y compris au Canada». Dès lors, «nous voulons avoir des sites dans plusieurs régions du monde, pour ne pas répéter ce qui s’est passé durant la pandémie, car je suis convaincu qu’on aura d’autres pandémies».
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Avec son usine au Kenya, Moderna dit vouloir proposer des vaccins au coût de revient, mais aussi des molécules adaptées aux énormes besoins du continent africain. «Il y a des dizaines de virus respiratoires, de virus tropicaux, dont aucune des grosses entreprises de la pharma ne s’occupe», explique Stéphane Bancel. «Je pense que l’industrie a regardé de l’autre côté depuis des années pour des raisons purement économiques.»
Moderna ne compte pas d’usine en Suisse, où il collabore avec Lonza. Le groupe rhénan fabrique des vaccins de Moderna contre le Covid depuis son site valaisan de Viège. Moderna avait ouvert son premier bureau en dehors des Etats-Unis à Bâle, en 2020, et n’aurait pas connu le même essor sans un important réseau d’investisseurs suisses, notamment à Genève.
Cancers dans le viseur
Aujourd’hui, Moderna emploie 4000 employés et a quasiment 50 programmes en développement. Le groupe basé à Boston dispose d’une trésorerie de 17 milliards de dollars. La baisse prévue des ventes de vaccins contre le Covid n’empêche donc pas son patron de dormir, assure-t-il.
D’autant qu’il s’est lancé à l’assaut d’une autre montagne, la lutte contre le cancer grâce à l’ARN messager, dans l’immuno-oncologie. Moderna réalise notamment un essai clinique avec l’américain MSD face au cancer de la peau. Traiter les cancers grâce à l’ARN, «ce serait un bond extraordinaire», espère le scientifique. De premiers résultats sont attendus d’ici la fin de l’année.