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La quête d'énergie menée par la Chine vire à l'hécatombe pour les mineurs

Un violent coup de grisou a fait 203 victimes mardi dans le nord-est du pays. Cet accident est le dernier épisode d'un massacre quotidien pour assurer l'approvisionnement d'une économie en surchauffe.

D'abord, il y a ces chiffres: pour chaque million de tonnes de charbon extrait en Chine, 2,79 mineurs meurent au fond de leur puits. Ça, c'est si l'on se réfère au décompte officiel qui s'élevait l'an dernier à 6027 morts (80% du total mondial). Le nombre réel de victimes serait toutefois trois fois plus élevé, selon l'organisation China Labour Watch basée à Hongkong. C'est-à-dire 8,4 morts par million de tonnes de charbon ou encore quelque 50 morts par jour en moyenne dans les mines chinoises. Voilà pour les statistiques.

Ce massacre au quotidien a atteint un nouveau pic lundi, au puits Sunjiawan du complexe minier de Fuxin dans la province du Liaoning, au nord-est du pays. Aux environs de 15 heures, les 238 mineurs descendus à 242 mètres de profondeur ressentent une secousse suivie dix minutes plus tard d'une explosion, alors que les boyaux se remplissent de fumée. Les détecteurs de gaz ont cessé de fonctionner, expliquera plus tard le directeur général adjoint de la mine. Les secours arrivent un peu plus tard, retardés par la neige.

Mardi, au dernier jour des vacances du Nouvel An chinois, le bilan provisoire de ce coup de grisou s'élevait à 203 morts, 22 blessés, et 13 mineurs étaient toujours coincés en sous-sol. Il s'agit de la plus importante catastrophe minière depuis quinze ans. Sur l'une des deux images du puits publiée par l'agence Chine nouvelle, on lit ce slogan au-dessus de la cage d'ascenseur: «La sécurité est notre Ciel, la qualité est notre racine.» Pour le reste, les responsables de la propagande du Liaoning ont interdit l'accès du drame aux journalistes, seule la reproduction des dépêches succinctes de Chine nouvelle étant autorisée, signe de la nervosité du pouvoir.

Loin de s'améliorer, comme l'affirme Pékin depuis des années, la situation des 28 000 mines chinoises, la plupart petites et privées, demeure d'une extrême précarité. Pour beaucoup d'anciens mineurs, elle ne cesse en fait de se dégrader sous l'effet d'une demande de production croissante pour répondre aux besoins d'une économie dont plusieurs secteurs sont en surchauffe (le charbon représente 70 à 75% des ressources énergétiques, 80% de la production d'électricité) et de la malhonnêteté des patrons attirés par un rapide profit. La majorité des gueules noires du miracle économique chinois sont aujourd'hui des mingong, ces paysans-ouvriers corvéables à merci, car sans véritable statut.

En octobre et novembre derniers, deux autres explosions au Henan (148 morts) puis au Shaanxi (166 morts) avaient choqué les élites urbaines découvrant l'ampleur du désastre grâce à une couverture médiatique inhabituelle des faits. Au Shaanxi, le patron de la mine avait forcé ses employés à regagner leur puits malgré les mises en garde contre des signaux avant-coureurs d'un coup de grisou. Menacés d'être renvoyés, les mineurs n'avaient eu d'autre choix que de descendre en enfer.

Syndicats interdits

Les équipes de travail se relaient aujourd'hui toutes les douze heures, au lieu de toutes les six heures comme auparavant, pour une présence de 28 jours par mois. La moindre absence est sanctionnée par des amendes ou le renvoi. La paie des mineurs d'Etat peut atteindre 3000 yuans (435 francs), mais les mingong touchent plus souvent entre 500 et 1000 yuans par mois, sans aucun autre bénéfice ni couverture sociale. A peine de quoi survivre. Les syndicats sont interdits et les ouvriers n'ont rien à dire sur les conditions de sécurité, qui sont généralement déplorables malgré une législation très stricte. La mort d'un mineur, pour autant que sa famille soit sur place, est soldée en échange de 10 000 à 20 000 yuans.