Pour une banque, la rentabilité des fonds propres et l'allocation des capitaux prennent la première place dans les décisions stratégiques. Ces deux forces pousseront les banques européennes à fusionner, malgré la volonté affichée par certains gouvernements de créer des «champions nationaux», selon Henner Schierenbeck. Il parie même sur une accélération des transactions, stimulée par la conjugaison d'une union monétaire (euro) et réglementaire (Bâle II) et par une nécessité d'agir le premier, «de manger pour ne pas être mangé». Quand le rythme commencera à s'accélérer, chaque transaction sera perçue par la concurrence comme une incitation à sauter dans le train des fusions.
Sir Win Bischoff estime que le principal soutien viendra de l'excès de capitaux dont disposent les banques, qu'il estime à 84 milliards d'euros ces trois prochaines années, et, pour les grandes banques, de diversifier les risques.
Mais une différenciation s'impose entre les segments de marché, selon Henner Schierenbeck. La concentration est très probable dans le private banking et la banque de détail. Moins dans la banque d'investissement, car le processus s'est déjà opéré. Le professeur ajoute une différenciation entre pays. Il opère une intéressante classification entre divers groupes de pays européens, selon les critères de performances de leurs banques entre 1992 et 2001 et selon des facteurs de concentration, tels que la part de marché des grandes banques ou la densité du réseau (voir le tableau ci-contre). Et il observe un lien entre la performance et la structure du marché. La Suisse fait partie des pays à forte rentabilité et à forte intensité de concentration, avec une part de marché de 70% pour les cinq grandes banques et une forte densité d'établissements par million d'habitants (45).
Wim Bischoff prévoit une poursuite des transactions, mais il doute d'une accélération. Le climat actuel ressemble à celui d'une discothèque, déclare-t-il. Les discussions sont vives et tout le monde vise une expansion, mais les objets à bon prix ne sont pas légion. Le management d'un institut qui veut procéder à une transaction doit affronter deux principaux défis, à son avis: convaincre ses propres actionnaires et choisir le moment où la cible traverse une phase difficile. Le sentiment des marchés financiers joue aussi un rôle important. Il constate que les banques qui présentent une forte croissance reçoivent une prime de la part des investisseurs. Il faut toutefois éviter les généralisations. Aux difficultés de Nordea dans sa fusion avec Marita dans les pays scandinaves il oppose le bon succès de HSBC avec CCF. Il en déduit que l'exécution d'une fusion requiert une vaste expertise.
Pierre Mirabaud, Président de l'Association suisse des banquiers, souligne également l'hétérogénéité du système bancaire. Dans le cas du private banking, il estime, avec l'oeil du praticien, que la pression à la concentration ne vient pas du marché. Celui-ci affiche une croissance extrêmement solide, sur le plan global, et ses perspectives restent très bonnes, notamment en Asie. Pour les banques, la question principale est celle du positionnement, dans un environnement de grande complexité où le facteur clé est très immatériel, la confiance du client. De ce point de vue, les banques suisses ne manquent pas d'atout.