A la recherche de l’or éthique
Matières premières
Produit sans mercure et dans des conditions de travail décentes pour les mineurs, l’or éthique répond à une réelle demande du marché, notamment des joailliers. Mais les volumes sont encore très faibles et la filière fragile

Nichée dans le creux d’une vallée à 2000 mètres d’altitude, Cuatro Horas ressemble à s’y méprendre à la planète Mars. Sur cette terre rougeoyante et inhospitalière du désert de l’Altiplano péruvien, 4500 personnes assurent leur subsistance uniquement grâce à l’or caché dans les veines de ses montagnes arides. Tous les matins, les femmes pallaqueras grattent les terrils aurifères pour en récupérer les scories. Au fond des galeries s’échinent des chercheurs d’or dont les vies semblent tout droit sorties d’un roman de Blaise Cendrars.
Santiago Ramirez Castro est à la tête de la petite raffinerie du village, un agencement de paillotes et de bâtiments en dur. Son histoire est celle des milliers d’autres de ces concitoyens qui ont fui la misère des champs et des bidonvilles. «Lorsque mon échoppe a brûlé à Lima dans un incendie, j’ai tout perdu, raconte-t-il. Alors, je suis parti dans la selva, où j’ai tenu un commerce tout en cherchant de l’or. Chaque jour était un combat.»
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Dans cette selva, la forêt amazonienne s’étendant de Madre de Dios à Puerto Maldonado, se pressent par milliers des réfugiés improvisés orpailleurs et dans leur sillage des propriétaires de machines. Une fois la terre ratissée, déforestée et appauvrie, tous partiront chercher le prochain filon, éternel recommencement.
Mine «éthique»
La production minière artisanale et à petite échelle concerne aujourd’hui 80 pays dans le monde, dont le Pérou. Souvent clandestine, cette activité fournit 20% de la production mondiale d’or, soit 380 à 450 tonnes par an. 100 millions de personnes, ouvriers et familles, dépendent de cette activité pour leur survie, soit 90% des mineurs dans le monde.
Depuis quinze ans, comme les secteurs du chocolat, du café et du coton, une filière d’or éthique s’est mise en place, portée par une ambition: produire sans mercure et en offrant des conditions de travail dignes. Si ce marché est encore très balbutiant, les espoirs qu’il porte sont nombreux.
Un laboratoire social
Cuatro Horas est la pionnière des mines «éthiques». Tout commence en 2002 lorsque le parlement péruvien autorise les petits mineurs à s’organiser en coopératives pour résoudre le malaise paysan et lutter contre l’économie informelle. «Avec une centaine de personnes, je minais illégalement sur les terres d’une grande famille qui n’exploitait pas sa mine. C’est ainsi que Cuatro Horas est née», raconte Santiago. Deux ans plus tard, 400 mineurs créaient la coopérative Macdesa.
Au fil des années, «Cuatro Horas est devenue un laboratoire social que regardent attentivement les 150 000 mineurs clandestins du Pérou», raconte Olinda Orozco, de l’ONG péruvienne Red Social. «La communauté est devenue un pôle de développement où hommes, femmes et enfants ont eu accès à l’électricité, à l’eau et à l’éducation grâce à l’argent de la mine, sans y trouver la prostitution ou l’alcoolisme présents dans les autres villes minières. Et aujourd’hui, c’est un exemple qui démontre qu’il est possible d’obtenir de l’or grâce au commerce équitable.»
Blanchiment et mercure
Cuatro Horas reste pourtant une goutte d’eau. En Amérique du Sud, or rime assez rarement avec éthique. Ce métal précieux est une source importante de blanchiment de l’argent de la drogue pour les cartels, en particulier au Pérou et en Colombie. Dans ces deux pays grands producteurs de cocaïne, la valeur des exportations clandestines dépasse même celles de la coca. 80% des exportations d’or colombien et 28% de l’or péruvien sont issus de filières clandestines, qui alimentent un commerce triangulaire entre or, drogue et armes. En Colombie, 20% du financement des FARC étaient obtenus grâce à l’extorsion d’argent auprès des mineurs illégaux.
Ces mines artisanales sont aussi extrêmement polluantes: l’usage massif de mercure pour amalgamer l’or est la première source de contamination. Ce neurotoxique, très nocif pour les travailleurs, pollue également l’atmosphère et les rivières environnantes, environ 1000 tonnes déversées par an. Certes, le traité de Minamata, entré en vigueur cette année, donne un délai de 15 ans aux Etats pour réduire l’utilisation du mercure dans les activités minières. Mais cet objectif se révèle être un vœu pieux: ces mines sont non contrôlées, les pratiques clandestines très difficiles à éradiquer.
Traitement au cyanure
Nombreux sont ceux qui se sont cassé les dents sur l’or éthique. Développé par la coopération suisse entre 2002 et 2008, le projet GAMA avait tenté de limiter l’utilisation du mercure dans la Rinconada, une autre région aurifère du Pérou. Sans succès. «Nous n’avons pas réussi à enclencher le processus, se souvient Thomas Hentschel, qui a participé au projet. Le point d’achoppement, c’était le cacharreo [une forme de servage où l’on travaille pendant 30 jours pour son chef et le 31e pour soi-même] qui nécessite de produire vite et beaucoup. Les mineurs voulaient garder ce système et le mercure qui ne requiert aucune technologie, ni aucun investissement particulier pour gagner leur vie.»
Les choses progressent doucement. Patrick Schein est affineur à Paris et membre de l’Alliance pour des mines responsables (ARM). A Cuatro Horas, il a fourni l’assistance technique et financière nécessaire pour bâtir la raffinerie. «Au mercure, nous avons substitué un traitement au cyanure fonctionnant en circuit fermé, ce qui a considérablement réduit l’impact environnemental de la mine, avec un risque de contamination inexistant dans cette zone totalement désertique, où l’eau s’évapore sous l’effet du soleil et le cyanure se dégrade au contact de l’air.»
«Pureté» des bagues
La controverse a été vive. Mais les acteurs du secteur ont fini par se rallier au choix du cyanure, convaincus que cette solution était la moins nocive pour à la fois récupérer suffisamment d’or et faire vivre une communauté minière. En attendant d’autres progrès scientifiques.
Aujourd’hui à Cuatro Horas, la coopérative produit 360 kilos d’or par an, certifié Fairmined, le label développé par ARM au Pérou, en Colombie, en Bolivie. En échange, 400 mineurs de Cuatro Horas perçoivent un salaire mensuel de 400 euros et une prime de 10%, réinvestie dans la mine ou les services publics (eau, électricité, éducation). L’or est acheté en aval par de petits artisans ou de grands joailliers soucieux de garantir la «pureté» de leurs bagues, sur lesquelles se fonderont bien des engagements. C’est aussi avec cet or équitable que la Palme d’or du Festival de Cannes est fabriquée par Chopard. Les médailles d’or des Jeux olympiques et des Prix Nobel sont faites du même métal.
Marché fragile
Mais derrière ces objets symboliques, les défis à relever sont immenses pour cette filière naissante. «L’enjeu pour nous est d’augmenter la quantité d’or en provenance des petites mines. Et d’étendre le nombre de communautés associées, pour répondre à la demande», explique l’affineur Philippe Fornier, président de la Swiss Better Gold Association. L’initiative «Better Gold», financée par le Seco depuis 2011, entend y remédier en facilitant l’accès au marché. Car Philippe Fornier regrette qu’aujourd’hui, «il est impossible de trouver de l’or responsable et traçable à grande échelle dans un pays comme la Suisse, qui est pourtant l’un des centres mondiaux de l’affinage et du trading».
Ashton Carter, consultant pour la Swiss Better Gold Initiative, abonde dans ce sens: «Le commerce équitable a créé de la conscience, mais reste une niche, qui a amélioré la sensibilisation du public, sans être mainstream par définition. L’or équitable coûte dix fois plus cher à cause du premium (les 10% reversés aux mineurs). Le commerce équitable ne changera pas le marché et le secteur tout entier.»
Pas de malédiction
Les objectifs fixés pour 2020: fournir cinq tonnes d’or artisanal et responsable en provenance du Pérou et de Colombie; trouver des marques désireuses de participer au projet; étendre ce modèle dans de nouveaux pays comme le Ghana. «Nos standards de production, certes moins exigeants que ceux du commerce équitable, sont aussi plus inclusifs et répondent à la demande de grandes entreprises, explique l’affineur. Nous espérons que la mise en relation avec les grands joailliers crée un climat de confiance. La mine voisine de la Sotrami travaille avec Cartier depuis quatre ans.»
Pour tous les acteurs, l’enjeu est de se positionner très vite sur ce marché émergent, comme le montre la multiplication anarchique des labels, qui font souvent aussi face à d’autres standards responsables conçus par les grandes compagnies minières pour valoriser leur production, sans prise en compte des petits producteurs. Cuatro Horas montre pourtant qu’une production responsable est économiquement possible. Si l’or reste «cette relique barbare» que décrivait Keynes, il n’y a pourtant pas de malédiction: sur les terres stériles de Cuatro Horas, les graines du développement ont germé.