Soumis à de fortes fluctuations de valeur, le bitcoin est réfractaire aux méthodes d’évaluation traditionnelles. Cette cryptomonnaie ne génère pas de dividende ou de cash-flow, elle ne repose pas sur un actif physique (de l’or par exemple) et ne reflète pas la compétitivité relative d’un pays. Ceci explique que la plupart des banques recommandent à leurs clients de ne pas investir dans le bitcoin ou d’autres cryptos, avec l’argument très souvent entendu que ces actifs «n’ont pas de valeur intrinsèque». Une société de gestion zougoise tente d’aller un peu plus loin, en cherchant un modèle de valorisation pour le bitcoin. En proposant trois modèles, plus exactement.

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Le premier repose sur la valeur d’utilité. Les auteurs de cette réflexion – Lidia Bolla et Christian Schüpbach, deux dirigeants de Vision&, une société de gestion spécialisée dans les investissements liés à la blockchain – estiment que le bitcoin sert et servira de plus en plus d’instrument pour effectuer des transactions et pour stocker de la valeur. En calculant la taille de ces deux marchés et selon la part de marché que prendrait le bitcoin, ils peuvent en déduire une valeur intrinsèque.

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Côté demande, les auteurs estiment que le besoin de transactions à l’échelle mondiale s’élève à 51 116 milliards de dollars, en additionnant certaines masses monétaires américaines, européennes, chinoises et japonaises. Le marché du stockage aurait selon eux une valeur d’un peu moins de 23 000 milliards de dollars (en se basant notamment sur la demande d’or comme réserve de valeur).

L’adoption par le grand public – ou pas

Trois scénarios sont évoqués à un horizon de dix ans. Dans le scénario de base (qui a 50% de chances de se réaliser, selon les auteurs), les cryptomonnaies prennent une part de marché de 5% du besoin de stockage de valeur d’ici sept ans, sous l’impulsion des générations nées avec le numérique notamment. Et le bitcoin représente 90% de ces 5%, soit une part de marché de 4,5% au total. Dans le même temps, le bitcoin serait utilisé pour 3% des transactions au niveau global.

Le scénario optimiste (10% de probabilité) attribue une part de 18% au bitcoin pour le stockage de valeur et de 10% sur le marché des transactions à un horizon de cinq ans. Le scénario pessimiste, enfin, implique la disparition pure et simple du bitcoin au cours des prochaines années. Sa probabilité: 40%. «Il est envisageable que l’adoption des cryptomonnaies par le grand public ne se concrétise jamais», reconnaissent cependant les auteurs.

A 65 000 dollars dans dix ans

Côté offre, celle de bitcoins sera limitée à 21 millions d’unités (17 millions environ sont actuellement en circulation). En divisant la base monétaire nécessaire à satisfaire la demande de bitcoin pour des transactions ou du stockage de valeur par le nombre de bitcoins en circulation, on obtient un prix du bitcoin de 65 000 dollars à un horizon de dix ans.

Pour atteindre ce niveau, la cryptomonnaie devrait donc progresser d’environ 25% par année. «Compte tenu de l’incertitude et des risques liés au bitcoin, ces 25% correspondent à ce que les investisseurs seraient en droit d’attendre en termes de performance», observe Lidia Bolla.

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Le deuxième modèle élaboré par Vision& se concentre sur le concept de multiples. Une action est considérée comme chère si son ratio P/E, qui compare son cours et ses perspectives de bénéfice, est élevé. L’équivalent existe pour le bitcoin: la valeur de réseau par transaction ou Network value to transactions (NVT). Cet indice rapporte la capitalisation boursière du bitcoin à la valeur des transactions effectuées (mesurée en dollars). Cette valeur reflète l’utilité que le réseau fournit à ses utilisateurs. Un NVT élevé signifie que la capitalisation boursière augmente plus vite que les transactions, ce qui indique que le bitcoin est surévalué.

Les auteurs en tirent deux observations. La première est qu’en comparaison historique, le bitcoin est actuellement plutôt surévalué. Leurs calculs se basent sur le cours du 31 mars, 6973 dollars. La cryptomonnaie a, depuis, perdu quelque 8% à la rédaction de ces lignes.

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De nouvelles blockchains ont été créées ou sont en passe de l’être, jusqu’à un million de fois plus rapides que la blockchain bitcoin

Olivier Depierre, avocat

La seconde observation concerne la valorisation relative du bitcoin par rapport à sept autres cryptomonnaies. Sur le mois de mars 2018, le bitcoin et l’ether sont les cryptos les moins chères. Sur l’année 2017, le bitcoin était plus chèrement valorisé que l’ether, le bitcoin cash ou le litecoin, mais moins que le dash, l’ether classic et surtout le ripple.

«Il ne faut pas oublier de prendre en compte l’évolution technologique, observe l’avocat genevois Olivier Depierre. De nouvelles blockchains ont été créées ou sont en passe de l’être, jusqu’à un million de fois plus rapides que la blockchain bitcoin, bien moins gourmandes en électricité et bien moins chères en termes de commissions, voire même gratuites.»

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Le dernier modèle d’évaluation proposé par Lidia Bolla et Christian Schüpbach part du principe que la valeur d’une cryptomonnaie est proportionnelle à la valeur de son réseau. Autrement dit, plus une cryptomonnaie attire d’utilisateurs, plus sa valeur sera élevée. Le même genre d’idée a été utilisé pour valoriser des réseaux sociaux comme Facebook.

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Leur raisonnement s’appuie sur la loi de Metcalfe, selon laquelle la valeur d’un réseau équivaut au carré du nombre de ses utilisateurs. Un backtesting montre cependant que la loi de Metcalfe ne permet pas de prévoir le prix du bitcoin avec précision. Entre 2015 et 2016, le prix de marché était inférieur à ce qu’indiquait le modèle. Et l’inverse a été vrai lors des phases de boom de 2013 et 2017. Les dirigeants de Vision& proposent donc un autre modèle dont l’avenir dira s’il se révèle un meilleur indicateur du futur prix du bitcoin.