Espace
Cinquante ans après les premiers pas sur la Lune, la NASA prévoit un retour sur le satellite pour 2024. Mais les réductions budgétaires et un marché du spatial de plus en plus concurrentiel poussent l’agence américaine à se tourner vers le privé pour tenir les délais

Etre de retour sur la Lune avec un vol habité d’ici à 2024. C’est l’objectif assigné à la NASA par l’administration Trump en mars dernier. Le 23 mai, l’institution américaine a détaillé officiellement son nouveau programme lunaire, nommé Artemis, sœur d’Apollon. Cinquante ans après les premiers pas sur l’astre, le lien familial avec Apollo est clairement établi.
Divisée en trois actes, cette nouvelle mission prévoit un premier vol non habité dès l’année prochaine. En 2022, Artemis 2 mettra des astronautes en orbite autour de notre satellite, avant l’apothéose prévue en 2024. Artemis 3 emmènera, elle, une nouvelle génération sur le sol lunaire, dont la première femme à le fouler.
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Mais cette fois, les Américains comptent bien s’y installer. Le programme Artemis prévoit également cinq lancements destinés à la construction d’une station en orbite lunaire, la Lunar Orbital Platform-Gateway. Celle-ci doit faciliter les missions vers le satellite, puis vers Mars.
Un programme qui a déjà pris du retard
«Il y a un besoin, pour le président Donald Trump, de se démarquer de son prédécesseur, qui avait eu une politique spatiale assez floue, marquée par un retour à la réalité avec la crise économique de 2008», analyse Maxime Puteaux, consultant spécialiste de l’industrie spatiale pour le cabinet Euroconsult. Pendant sa campagne, Donald Trump ne s’était pas spécialement montré intéressé par l’espace. Il se rattrape avec de grandes ambitions. Reste à savoir si le Congrès suivra, puisque ce sont les sénateurs qui ont la main sur le programme spatial.
Le calendrier fixé s’annonce déjà difficile à tenir pour l’agence américaine. D’autant que le retour sur la Lune avait été initialement programmé pour 2028, avant d’être ramené à 2024. La construction de la plus grande fusée de l’histoire, le Space Launch System (SLS), a déjà pris du retard.
La NASA a demandé une rallonge budgétaire de 1,6 milliard de dollars pour tenir les délais. Un supplément que le Congrès ne lui a pas encore accordé. Les fonds de l’agence étaient déjà passés de 20,7 milliards de dollars en 2018 à 21,5 pour l’exercice 2019. Soit une hausse de 3,7%. Toutefois, l’ensemble de cette somme n’est pas allouée au seul programme lunaire. «Pour le programme Apollo, la NASA avait investi 130 milliards sur dix ans, détaille Maxime Puteaux. A titre de comparaison, ce programme représentait 5,5% du budget américain entre 1963 et 1969, aujourd’hui c’est 0,8%.»
Diminuer les coûts de lancement
Ambitions politiques et réalité budgétaire doivent donc encore s’accorder, mais la NASA se tourne déjà vers le secteur privé pour combler les vides dans son programme. Les poids lourds traditionnels de la conquête spatiale, comme Boeing ou Lockheed Martin, se sont déjà positionnés, mais de nouveaux acteurs sont sur les rangs, comme la société Blue Origin, fondée par Jeff Bezos.
Le 9 mai, l’homme d’affaires, également créateur du géant de la vente en ligne Amazon, présentait en grande pompe son alunisseur Blue Moon. Habituellement plus discret que son concurrent SpaceX, l’entreprise d’Elon Musk, également patron de Tesla, Blue Origin se veut un partenaire crédible pour l’agence américaine.
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«La NASA est prête à sous-traiter pour diminuer ses coûts et aller plus vite. Auparavant, c’était impensable, parce qu’il n’y avait personne sur le marché, affirme Ludovic Janvy, directeur de division chez Altran Suisse. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’entreprises capables de fournir des composants.» Le spatial n’est plus la chasse gardée de quelques entreprises spécialisées vivant de financements publics, c’est devenu un marché concurrentiel.
Le secteur privé à la manœuvre
Il y a quelques années, les contrats en recherche et développement permettaient aux entreprises de faire payer à la NASA les coûts du développement d’une nouvelle technologie, plus une marge au moment de la vente. Un fonctionnement qui ne poussait pas forcément à ce que les programmes s’achèvent rapidement. «Maintenant, l’agence est passée à une approche à coût fixe. Les entreprises ne sont même plus sûres que la NASA sera cliente du produit développé», renchérit Maxime Puteaux.
«Ce qui est intéressant, c’est qu’aujourd’hui le leadership de la conquête spatiale vient du privé», remarque-t-il. Ce glissement a été permis notamment par le développement du marché satellitaire et d’observation de la Terre. Space X vient tout juste de procéder au lancement simultané de 60 microsatellites pour son projet Starlink. Destiné à fournir une connexion à haut débit dans les zones les plus reculées, il doit en compter au total 12 000. «Le développement du lanceur Falcon 9 n’a coûté que 500 millions de dollars à SpaceX, l’autre moitié ayant été payée par l’agence. Pour la société d’Elon Musk, ce montant ne représente que deux fois le budget du film Avatar. La NASA a reconnu de son côté qu’elle n’aurait pas pu assumer ces coûts», souligne Maxime Puteaux.
Une nouvelle course à la Lune
Les Etats-Unis ne sont pas les seuls à viser la Lune. «Dans le contexte géopolitique actuel, l’Europe, les Etats-Unis, la Russie et la Chine ont intérêt à se profiler sur ce sujet», affirme Ludovic Janvy. Pourtant, tous ces acteurs ne jouent pas dans la même cour.
Le budget de l’Agence spatiale européenne (ESA) n’est, lui, que de 5,5 milliards d’euros. Si elle n’a annoncé aucun programme lunaire pour le moment, l’ESA – dont la Suisse est membre fondateur – n’est pas dépourvue d’ambition. «Johann-Dietrich Wörner, le directeur de l’agence, promeut depuis plusieurs années l’idée d’un village lunaire alliant privé et public», précise Maxime Puteaux. Récemment, Stéphane Israël, patron d’Arianespace, affirmait que le lanceur Ariane 6 irait sur la Lune.
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«En Europe, derrière le spatial, il y a une volonté d’autonomie politique, mais ce ne sont pas les mêmes enjeux économiques qu’aux Etats-Unis», rappelle Maxime Puteaux. La demande institutionnelle européenne est plus faible et le marché privé n’est pas aussi développé. «La cadence n’est pas la même, c’est pour ça qu’il n’y a pas eu de développement de lanceur réutilisable», ajoute le consultant.
La conférence ministérielle de l’ESA, qui rassemble les représentants des 22 pays membres de l’agence, aura lieu fin novembre 2019 à Séville. Elle fixera les prochaines ambitions de l’agence. «L’Europe n’est pas assez agile sur le sujet. Si elle veut rester une grande puissance, sa souveraineté passera par une Europe spatiale forte, mais cela risque de prendre quelques années pour être au niveau des Etats-Unis», pointe Ludovic Janvy.
L’Inde et la Chine en retard pour la Lune
Bien qu’elles soient très actives dans le domaine spatial, la Russie, la Chine et l’Inde sont encore moins avancées sur la question de la conquête lunaire. «Il ne faut pas négliger la Russie, le lanceur Soyouz reste très performant», rappelle Ludovic Janvy.
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«Pour l’Inde, c’est un objectif trop lointain. Le pays vient tout juste d’entériner le développement d’une capsule habitée, affirme Maxime Puteaux. La Chine a des ambitions à long terme qui restent floues. Pour ce qui est du vol habité, elle en est encore au développement d’une station en orbite basse.» Le budget spatial chinois, bien qu’opaque, était estimé à 11 milliards de dollars en 2017.
Pour Ludovic Janvy, ces pays sont aussi capables de dissimuler leurs avancées. La présence chinoise sur notre satellite est d’ailleurs déjà une réalité. En janvier dernier, la Chine avait réalisé une première historique, devant ses concurrents, en posant un module lunaire sur la face cachée de la Lune.