Tout juste nommé à la tête de Société Générale (SG), Slawomir Krupa a la lourde tâche de contrer le lent déclin de la quatrième banque française. Les marchés ont plutôt bien accueilli la confirmation du successeur de Frédéric Oudéa – qui vient d’être élu président non exécutif du conseil d’administration de Sanofi. L’action a gagné du terrain mardi, le jour où l’assemblée générale approuvait sa nomination en même temps que les comptes annuels, le versement d’un dividende de 1,70 euro et d’un programme de rachat d’actions d’environ 440 millions d’euros. Il est toutefois trop tôt pour en conclure que le Franco-Polonais réussira à séduire les investisseurs. Il lui faudrait inverser une tendance baissière qui dure depuis mai 2007: le cours de l’action est passé de plus de 138 euros alors à moins de 23,9 euros à l’heure où sont écrites ces lignes.

Le groupe bancaire dont hérite Slawomir Krupa n’a pas grand-chose à voir avec celui dont Frédéric Oudéa a pris la tête le 12 mai 2008. Il avait alors une envergure internationale et comptait parmi les meilleures salles de marché dans les produits dérivés du monde. Il s’était remis de la bataille contre BNP pour la reprise de Paribas en 1999, et avait développé avec Société Générale Asset Management (SGAM) et Lyxor, des franchises reconnues internationalement. La première est devenue Amundi, la seconde a été vendue à… Amundi en 2021.

L’affaire Kerviel a marqué, en janvier 2008, le début de la fin d’une certaine stature de la banque créée par décret de Napoléon III, dont le siège social est toujours boulevard Haussmann à Paris.

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Rupture ou continuité?

La décennie 2010 a vu les déconvenues se multiplier pour le groupe. Le nombre de ses salariés est passé de 159 616 en 2011 à 115 466 fin 2022 selon Statista. Cette décrue reflète des cessions d’activité. La dernière en date est celle de Rosbank, vendue en mai 2022 au fonds d’investissement russe Interros de Vladimir Potanine, pour une perte sèche de 3,2 milliards d’euros. De nouvelles réductions de personnel sont attendues avec la fusion des réseaux hexagonaux de Société Générale et de Crédit du Nord. La banque a revu sa stratégie et sa voilure, avec un recentrage domestique.

Si le discours officiel évoque une totale continuité stratégique avec son prédécesseur, Slawomir Krupa a un profil très différent de celui de Frédéric Oudéa. Contrairement à celui-ci, c’est un banquier pur jus. Il a été responsable de la banque de financement et d’investissement puis directeur général adjoint du groupe SG dans lequel il a fait toute sa carrière. Son prédécesseur en était directeur financier lorsqu’il a pris la place de Daniel Bouton dans le tsunami de la fraude réalisée par un opérateur sur les marchés dérivés, Jérôme Kerviel. Laquelle coûta 4,9 milliards d’euros au groupe SG par ailleurs touché par la crise des subprimes en 2008. La nomination de Frédéric Oudéa, qui devait beaucoup, selon les observateurs, à sa proximité avec le président de l’époque Nicolas Sarkozy, avait créé la surprise générale.

Certes, Krupa s’est logiquement engagé à poursuivre la mise en place du plan «Vision 2025» lancé par Frédéric Oudéa. Et pour cause: il a contribué à sa définition. Il lui appartiendra de concrétiser les initiatives stratégiques majeures qu’a rappelées le président du conseil d’administration, Lorenzo Bini Smaghi, mardi dernier: «La fusion des réseaux de banque de détail en France de Société Générale et du Crédit du Nord, le développement de Boursorama» et de «transformer encore le Groupe pour le plus grand bénéfice de ses actionnaires» autrement dit d’augmenter son niveau de rentabilité.

Mais, le premier geste du nouveau directeur général, mettre en place un comité exécutif, qui s’est réuni pour la première fois mercredi, pourrait augurer d’un nouveau style de management. En interne mais aussi vis-à-vis des parties prenantes externes, agences de notation et investisseurs en particulier.

Sortir de l’ombre du frère ennemi

C’est la condition sine qua non pour que le groupe identifié aux tours de La Défense redresse le cours de son action «régulièrement décevant», selon Roger Degen, analyste chez Julius Baer. Il s’attend «à ce que le nouveau directeur général donne des indications plus détaillées sur l’objectif d’obtenir un rendement des actifs de 12% d’ici à 2025. Etant donné que les coûts de restructuration diminuent et que le processus de réduction des risques du groupe sera largement achevé cette année, le bénéfice par action devrait se redresser d’ici à 2024.» Mais, regrette-t-il, «le marché n’accorde que peu de crédit à ces perspectives à cause des nombreuses déceptions opérationnelles du passé.»

Les investisseurs ont tendance à préférer BNP Paribas, plus diversifiée et plus attrayante en raison d’un meilleur profil de rendement du capital. Aussi, observe Samuel Traub de Credit Suisse «lorsqu’ils recherchent un indicateur des banques européennes, ils préfèrent BNP Paribas à la SG». Les cours de bourse des deux ont connu des parcours divergents -41,7% sur les cinq dernières années pour Société Générale (SG) contre -7,55% pour le groupe du boulevard des Italiens. Depuis le début de l’année, ces chiffres sont dans le rouge pour SG à environ -2% , contre 1,9% pour BNP Paribas.

La faiblesse de celui de Société Générale entretient des rumeurs de rachat depuis des années. «La SG a l’un des multiples les moins chers parmi les banques européennes – de 0,3 à 0,4 fois sa valeur comptable. BNP Paribas se négocie à environ 0,6 fois sa valeur comptable», observe Samuel Traub. Ce dernier écarte pourtant un scénario de reprise, qu’il ne juge pas «crédible». «Même si le groupe SG est bon marché, et c’est le cas depuis des années, même s’il existe une pression politique en Europe pour consolider le secteur, rien ne s’est produit étant donné qu’il manque toujours une réglementation bancaire commune, c’est-à-dire un système européen d’assurance des dépôts. Pourquoi cela changerait-il maintenant?»

Société Générale figure toujours dans le palmarès des dix plus grandes banques européennes, où les françaises occupent une place de choix. Son nouveau directeur général devra trouver un chemin pour lui assurer un positionnement qui lui permette de ne pas perdre son rang, sinon d’en gagner.

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