Jeudi, après l’intervention de la Banque nationale suisse (BNS), qui a offert des liquidités à Credit Suisse, l’action de cette dernière a bondi de 26% à l’ouverture de la bourse suisse, atteignant 2,25 francs après avoir touché un nouveau plus bas historique la veille, à 1,55 franc.

Le prix des CDS, des instruments financiers de protection contre un risque de défaillance, est redescendu jeudi matin du sommet historique atteint mercredi. Cette évolution indique que les investisseurs sont moins inquiets d’un risque de défaillance de la banque, même si le niveau de ces assurances reste élevé.

L’urgence vitale semble être derrière pour la deuxième banque du pays, mais ce soutien sera-t-il suffisant pour lui permettre de se stabiliser et d’effectuer sa restructuration? Ou est-il déjà trop tard? Quatre scénarios se dessinent.

1. Le statu quo: le plan va fonctionner

Le plan de restructuration annoncé par Credit Suisse en octobre dernier repose sur une logique simple: se séparer d’entités ou d’activités nécessitant beaucoup de capital et qui ont essentiellement produit des pertes ces derniers trimestres.

Une banque doit en effet mettre du capital de côté pour couvrir ses encours, pondérés par leur niveau de risque (plus un actif est risqué, plus une banque doit constituer un matelas de sécurité important).

En conséquence, Credit Suisse va se séparer de certaines activités ou de certains actifs risqués. Cela réduira ses besoins en fonds propres. Même si l’opération s’effectue à perte (le prix de vente des actifs étant bas, par exemple, car les acheteurs savent que la banque doit absolument vendre), elle peut se révéler positive si les fonds propres qu’elle permet de libérer sont supérieurs aux pertes subies par l’établissement.

L’ampleur des sorties de fonds sera déterminante pour savoir si ce scénario prévaut. Au dernier trimestre de 2022, celles-ci se montaient à 110 milliards de francs. Cet exode se poursuivait, mais à un rythme beaucoup plus lent, admettaient les responsables de Credit Suisse en début de semaine. Reste à voir si les turbulences de ces derniers jours l’auront accéléré à nouveau.

Selon l’avocat Carlo Lombardini, la deuxième banque du pays «pourrait rencontrer des problèmes de liquidités si les retraits se poursuivent, ce qui est dangereux puisque la liquidité est aussi importante que les fonds propres. De toute façon, la banque va avoir un problème de rentabilité, car les gens qui retirent leur argent d’une banque ne vont pas conclure de nouvelles affaires avec elle.»

Retrouvez nos articles sur la crise de Credit Suisse.

2. Une nouvelle injection de capital

De plus en plus d’experts doutent ainsi de la capacité de Credit Suisse à mettre en œuvre sa restructuration pour redevenir rentable. Johann Scholtz, analyste chez Morningstar, qui a placé la note de la dette de la banque sous surveillance, estime ainsi qu’elle sera obligée de lever à nouveau du capital pour restaurer la confiance des prêteurs et des clients. Car, d’après l’agence de notation, «les coûts de financement de Credit Suisse sont devenus si prohibitifs que la perte de 2023 augmentera jusqu’à risquer de rendre son niveau de capital inadéquat».

L’analyste reconnaît qu’une nouvelle émission d’actions aurait pour conséquence de diluer celles des actionnaires déjà présents. Il doute même qu’elle soit possible au vu des propos du président de Saudi National Bank, le plus important investisseur de Credit Suisse, qui a affirmé refuser de mettre un centime de plus pour soutenir la banque et provoqué les turbulences boursières de mercredi. Il a nuancé son propos jeudi en affirmant que Credit Suisse n’avait pas besoin de nouveaux capitaux.

Charles-Henry Monchau, responsable des investissements de la Banque Syz à Genève, estime également que les «mesures [des derniers jours] ne sont pas suffisantes pour que Credit Suisse soit complètement tiré d’affaire. Il s’agit de restaurer la confiance du marché via la sortie complète de la banque d’investissement, une garantie totale sur tous les dépôts par la BNS et l’injection de capitaux pour donner à la banque le temps de se restructurer.»

«Quelque chose doit être fait maintenant pour restaurer la confiance, qui est le véritable capital d’une banque», abonde Carlo Lombardini. Mais il précise qu’un «bail-in», qui consiste à transformer les obligations émises par une banque en fonds propres, «ne serait pas efficace, car Credit Suisse n’a en principe pas de problème immédiat de solvabilité».

Lire aussi: Le sauvetage de Credit Suisse prend une tournure politique

3. Séparation des entités

Comme beaucoup d’autres, Johann Scholtz envisage un démentèlement de Credit Suisse. Les activités en «bonne santé», dont la banque suisse, la gestion d’actifs, la gestion de fortune et peut-être même certaines parties de la banque d’investissement pourraient être vendues ou cotées séparément à la bourse.

Carlo Lombardini regrette d’ailleurs que Credit Suisse «ait rencontré d’importantes difficultés en s’aventurant en dehors de ses activités traditionnelles que sont la gestion de fortune et les services bancaires en Suisse, qui sont toutes deux très solides». Une sortie de crise, selon lui, pourrait passer par le sauvetage de l’entité suisse de Credit Suisse: «Il faudrait que des investisseurs suisses rachètent cette partie du groupe, qui doit être sauvée en priorité, et Credit Suisse redeviendrait ce qu’il était à ses origines.»

Une telle opération aurait un autre avantage, estime Jean-Charles Rochet, professeur de finance à l’Université de Genève: «Cela permettrait de ne pas être tributaire de capitaux internationaux, qui peuvent être volatils pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la Suisse ou avec la santé de l’entreprise concernée.»

Lire aussi: Credit Suisse sera aidé par la BNS mais, normalement, sans l’argent du contribuable

4. Un rapprochement avec UBS ou une autre banque

C’est un scénario évoqué à intervalles réguliers. Plusieurs analystes l’évoquaient à nouveau jeudi, mais il se heurte à des obstacles. Au niveau suisse, une telle opération poserait des questions de concurrence, le nouvel ensemble pourrait avoir une position dominante sur le marché local. Autre inconvénient, la réunion des deux plus grandes banques du pays se traduirait par des doublons dans la plupart des activités. Doublons qui seraient résorbés par des licenciements, probablement importants. Mauvais pour l’image, tant du côté de la banque reprise que du repreneur. Interrogés à ce sujet, le patron d’UBS, de même que celui de Julius Baer ont déclaré se concentrer sur leurs affaires.

Lire aussi: Quatre questions pour comprendre pourquoi Credit Suisse chancelle