Ne leur dites surtout pas que c’est une conférence. Ils ouvriront de grands yeux en vous disant que ce n’est absolument pas cela, mais plutôt une expérience, un événement, ou quelque chose qui s’en rapproche. «Ils», ce sont les organisateurs des TEDx, ces événements, donc, qui essaiment sur la planète, Suisse y compris, depuis 2009. Ils sont les rejetons des manifestations TED, de grands événements qui se déroulent habituellement sur la côte Ouest des Etats-Unis. Mais ce mardi, TEDGlobal se tient à Genève, rassemblant 900 invités. La rencontre ne sera pas ouverte au public. Elle sera suivie avec attention par 500 organisateurs de TEDx, des événements qui, eux, sont destinés à tous. Ils ont convergé vers Genève depuis dimanche, arrivant de 60 pays, pour participer à des séminaires au CERN et à la Maison de la Paix et visiter la région avant d’assister à TEDGlobal.

Une expérience plutôt qu'une conférence

Avant de rencontrer les Romands parmi ces «TEDxeurs», une discussion avec Bruno Giussani s’impose. Ce Tessinois est l’un des organisateurs de TED, lancé en 1984. «L’idée est d’inviter sur scènes des personnes de tous horizons pour qu’elle nous fassent partager un savoir, une expérience forte. Cela peut être un artiste, un scientifique, un entrepreneur… TED a pris une nouvelle dimension en 2006 lorsque nous avons commencé à mettre à disposition gratuitement sur le Web les vidéos des interventions», explique-t-il. Aujourd’hui, TED revendique 100 millions de vidéos vues par mois. Des exemples de vidéos à succès? «Pourquoi nous faisons ce que nous faisons», «Les dix choses que vous ignorez à propos de l’orgasme», «Comment faire du stress votre ami» ou encore «Comment vivre avant de mourir», par Steve Jobs.

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«Très vite, nous avons eu des demandes pour organiser TED à Barcelone ou à Singapour, par exemple, poursuit Bruno Giussani. Nous étions alors une petite équipe, un peu prise de court par cet enthousiasme. Nous n’avions pas la structure pour faire cela. Mais dire non n’est pas une réponse satisfaisante. C’est ainsi que nous avons créé TEDx».

Une préparation minutieuse

TEDx, c’est une sorte de TED avec franchise, gratuite. L’équipe de TED fournit un manuel, des lignes pour les événements et effectue du coaching si nécessaire. «Nous acceptons moins de 40% des demandes, car ceux qui sollicitent une licence ont parfois un agenda politique ou commercial. Or l’idée des TEDx est de laisser les organisateurs brasser des idées, partager des expériences, librement», s’enthousiasme Bruno Giussani. Il y a aujourd’hui 2750 TEDx par année. A l’opéra de Sydney, dans un stade de football à Bueno Aires ou au camp de base de l’Everest.

Et aussi en Suisse. Une quinzaine d’organisateurs d’événements TEDx sont actifs en Suisse romande, avec des déclinaisons: TEDxCERN, TEDxMartigny, TEDxPlaceDesNations, TEDxLausanne… Ces organisateurs, enthousiastes, nous les avons rencontrés récemment à Genève. «La devise de TED, c’est de partager des idées qui en valent la peine, affirme Karin Jestin, de TEDxLakeGeneva. L’idée est de retrouver le «story telling», ou l’art de raconter des histoires. Il s’agit d’offrir à un public varié des interventions d’orateurs divers, et même de créer des étincelles dans les yeux. A la fin d’un TEDx, je sens que les gens sont dynamisés, ils sont touchés parce qu’ils ont vu et entendu. Les expériences se transmettent ainsi vraiment de manière puissante.»

Coaching intensif des intervenants

Samuel Lagier va organiser son quatrième TEDxLausanne. «L’idée est de chercher un maximum de diversité parmi les intervenants, de laisser de côté les stéréotypes.» Cela se prépare. Longtemps, très longtemps. «Essayez de demander à un scientifique de vulgariser son propos… C’est parfois extrêmement difficile, sourit Darcy Christen, de TEDxCHUV. Cela demande des heures de préparation pour faire ressortir ce qu’il y a de plus profond et de plus intéressant dans son propos. Au CHUV, chacun des deux TEDx a mobilisé une quinzaine de personnes au total pour l’organisation. C’est un effort immense, des nuits courtes, mais cela en vaut la peine.»

Et ce n’est pas toujours gagné. «La préparation des intervenants est capitale, elle est souvent sous-estimée dans les conférences classiques, ajoute Simon Schneebeli, de TEDxLausanne. Les attentes des participants sont de plus en plus élevées, car ils voient souvent, avant, des vidéos d’événements TED ou TEDx sur Internet.» Une vidéo tournée au CHUV, intitulée «Your brain on video games», a dépassé les 2,3 millions de vues. «Parfois, on se dit qu’un orateur prévu est sans espoir, tellement il semble incapable de faire passer un message vrai et profond. Mais en travaillant avec lui, en le guidant pour qu’il raconte une histoire, son histoire, on parvient à des résultats fabuleux», poursuit l’organisateur de TEDxCHUV.

Comment ces organisateurs bénévoles interagissent-ils avec la «centrale» TED? «Il y a une sorte de bible de 150 pages qui nous guide, explique Théo Bondolfi, de TEDxGeneva. Cela donne une ligne, mais pas de contrainte précise. J’ai organisé beaucoup de conférences avant de me consacrer à TEDx. Pour moi, TED a une éthique, tout doit être désintéressé, juste et la qualité des propos est primordiale.» Les organisateurs de TEDx sont donc libres. «Ce qui m’a plu, c’est de pouvoir constituer ma propre équipe avec des gens que j’apprécie et qui viennent de différents domaines. Chercher puis préparer un intervenant durant des heures est vraiment passionnant», s’enthousiasme Grégory Grin, de TEDxFribourg.

Tisser des liens

L’idée est aussi de toucher un public très varié. «A Genève, notre idée était de montrer que ce qui se passait dans la ville a un impact sur le monde entier, raconte Corinne Momal-Vanian, de TEDxPlaceDesNations, coorganisé avec Melissa Fleming. Notre but n’était pas de s’adresser uniquement à des ambassadeurs grisonnants, mais à des jeunes Or les adolescents partagent des vidéos de TED et TEDx sur Facebook. Sur les 1400 participants à notre événement, nous avons eu beaucoup de jeunes qui se sont intéressés à cette matière.» Ce qu’apprécient les organisateurs de TEDx, ce sont aussi les interactions avec les orateurs. «J’ai organisé six TEDxTransmedia, sourit Nicoletta Iacobacci, avec plus de cent intervenants. Cela a été l’occasion de tisser des liens d’amitié avec eux.»

De son côté, Claudia Marcelloni organise TEDxCERN. «On nous pose souvent la question: «A quoi bon un TEDx?» Nos vidéos ont été vues des millions de fois. Mais la vraie valeur de TEDx pour le CERN est d’aller plus loin. Son format et son côté pluridisciplinaire nous encouragent à tisser des liens entre la science, la technologie, l’éducation, l’art ou encore la société.»

TEDx, ce sont aussi des déclinaisons très locales. Johann Roduit a organisé quatre TEDxMartigny: «L’idée est de créer une plateforme pour des idées régionales, en français, ce qui est rare. La «marque» TEDx est une garantie de qualité pour créer un événement riche.» «A Fribourg, nous organisons le seul événement bilingue français-allemand, poursuit Grégory Grin. Nous avons organisé une édition cette année, nous en referons une en avril 2016.»