«La répression financière ne résout rien»

– Est-ce que les principaux détenteurs de dette ne sont pas les banques centrales, donc les premières victimes de la remise de dette que vous souhaitez?

– L’éventualité d’un rachat de l’essentiel des dettes par les banques centrales, puis de leur amortissement, a été évoquée mais personne n’a pu appréhender ses effets. Cela pourrait se traduire par une perte de confiance envers les banques centrales et le système monétaire risquerait de s’écrouler.

Par contre, je trouve très intéressante l’initiative «pour la monnaie pleine» qui vient d’être lancée en Suisse. Il est remarquable que l’on débatte en public de ce sujet. Cela ne serait jamais possible en Allemagne.

Cette initiative prévoit que seule la banque centrale pourrait créer de la monnaie et non plus les banques privées. Cela se traduirait par une réduction des cycles conjoncturels et l’absence de bulles spéculatives. J’ajoute que le passage du système actuel à celui de la monnaie pleine permettrait un bénéfice unique et considérable pour la banque centrale, ainsi que l’a révélé une étude du FMI. Ce gain serait suffisant pour payer la dette de l’Etat. En tant que politicien, cela me paraîtrait digne d’intérêt.

– Votre principal scénario est-il celui d’une prochaine nouvelle crise économique?

– Je ne l’espère pas, mais aucun des problèmes qui nous ont conduits à la crise n’a été résolu. Les dettes augmentent plus vite que les revenus. Si vous pensez qu’il n’y aura pas de nouvelle crise, vous croyez en la toute-puissance des banques centrales. Personnellement, je n’y crois pas. Je crains que les marchés et le grand public perdent leur confiance en la capacité des banques centrales de nous sauver.

La fin du processus ne peut être que très désagréable. Depuis 2008, la hausse de la dette par rapport au PIB atteint 30 à 80% selon les pays. Il faut toutefois porter un jugement différent selon les pays et la situation des ménages, des entreprises et de l’Etat.

– Croyez-vous en une normalisation des taux d’intérêt?

– Non, nous devons gérer une maison qui croule sous les dettes. Ce n’est possible qu’avec l’octroi de nouvelles dettes et un coût de l’argent bon marché. Si les banques centrales relevaient les taux d’intérêt, la maison s’écroulerait définitivement.

Les Américains pourraient envisager une hausse des taux d’intérêt en 2015. Mais ils verront que cela conduirait à une nouvelle récession en Europe. La dette publique de la Chine est également inquiétante et atteint, entre-temps, des dimensions «européennes». La dette des Etats-Unis n’est pas très confortable non plus.

– La faiblesse des rendements pénalise les épargnants. Est-ce qu’une génération est sacrifiée sur l’autel de la répression financière? – Effectivement, l’envol des dettes crée une illusion de richesse. Soit on restructure la dette en une fois, soit en plusieurs années à travers le phénomène de répression financière, par lequel le capital est réduit par l’inflation et l’impôt. Mais ce dernier phénomène n’annule pas la dette. Les Etats-Unis ont connu une répression financière dans les années 1950 et 60. La croissance réelle était forte grâce au boom démographique et à la hausse de la productivité. L’inflation était élevée et la réglementation des marchés financiers très forte. Celui qui achetait des obligations d’Etat réalisait forcément une perte. Les dettes ont été rapidement réduites. Aujourd’hui, nous n’enregistrons ni croissance, ni inflation et l’Etat continue de s’endetter. Les dettes augmentent toujours. La déflation aggrave la situation.