«QE2». Depuis la fin de l’été, les milieux financiers n’ont plus que ce nom de code à la bouche lorsqu’ils évoquent les Etats-Unis. Quitte à sous-estimer l’importance du scrutin électoral qui s’est tenu mardi. Analystes boursiers, éditorialistes, spécialistes des emprunts d’Etat… Tous s’interrogent sur l’efficacité – et les effets collatéraux – du nouveau train de mesures anti-crise que doivent annoncer, ce soir vers 19h15, les autorités monétaires américaines, à l’issue de leur réunion de deux jours à Washington.

La Réserve Fédérale s’apprête, une nouvelle fois, à ouvrir toutes grandes les vannes en injectant directement de l’argent frais dans le système financier. En espérant que, administrées directement sous perfusion, ces liquidités seront ainsi plus facilement prêtées et susciteront un regain de l’investissement et de la consommation. «La transmission de la politique monétaire est bloquée, principalement en raison de la crise sur le marché immobilier», rappelent les économistes de Bank of America.

Techniquement, cet argent est injecté par la Fed en échange du rachat par cette dernière d’emprunts obligataires sur les marchés. Appelée «assouplissement monétaire» – ou «quantitative easing» en anglais – cette stratégie est destinée à pallier l’inefficacité de l’outil classique de relance dont dispose la banque centrale: la baisse des taux d’intérêt. Ceux-ci n’offrent plus de marge de manoeuvre, ayant déjà été abaissé à pratiquement 0% depuis les heures noires de la crise, fin 2008.

Ben Bernanke, le responsable de la banque centrale a commencé à évoquer le recours à ces mesures «non conventionnelles» dès le mois d’août. Et la Fed a confirmé lors de sa dernière réunion, en septembre, vouloir «mener un assouplissement supplémentaire, si nécessaire, pour soutenir la reprise économique». Aux yeux des marchés financiers, la question n’est donc plus de savoir si la Fed va recommencer à faire tourner la planche à billet. Mais sous quelle forme. Et pour quel montant. Déclenchée fin 2008, la première vague de ces mesures de relance – le «QE1» - l’avait conduit à injecter 1700 milliards de dollars dans l’économie, via le rachat d’emprunts d’Etat ou d’emprunts immobiliers titrisés. Ces mesures ont été interrompues en mars dernier. Selon un sondage réalisé par l’agence Bloomberg, une majorité d’économistes s’attendent à ce que le nouveau programme de rachat d’emprunts – donc de création monétaire – attendu ce soir dépasse les 500 milliards de dollars. Aux yeux des économistes de Merrill Lynch, «la Fed va adopter une approche en deux temps». D’un côté, elle annoncerait ce soir «un programme de rachat d’emprunts à large échelle». Mais de l’autre elle «communiquerait afin d’ancrer dans les esprits la perspective d’un rehaussement des taux d’intérêt», en précisant que ces taux «resteront au plancher tant que le niveau de l’inflation restera inférieur à celui autorisés par son mandat».

L’idée de recourir à de nouvelles injections monétaires – à une seconde vague de «quantitative easing» ou «QE2» - a valu des critiques à la Fed. En interne, plusieurs dirigeants de la banque centrale ont exprimé ouvertement la crainte que cette création de dollars n’ait au final qu’un effet limité sur l’activité, tout en portant en lui le risque de réveiller l’hydre inflationniste. Les économistes consultés par l’agence Bloomberg craignent que de telles mesures ouvrent la voie à une inflation – hors prix alimentaires et énergétiques – dépassant 2% en 2012. Actuellement son niveau stagne néanmoins à 1,2%. Les analystes de Merrill Lynch voient de leur côté cette mesure rapporter seulement 0,3 point de pourcentage de croissance à l’Amérique. Professeur d’économie à Harvard, Martin Feldstein, parle, lui,d’un «pari dangereux» dans une chronique publiée ce matin dans le Financial Times. Celui-ci craint que cette avalanche d’argent ne soit utilisée par les milieux financiers non point pour accorder des prêts à l’économie réelle mais pour spéculer à bon compte. Le risque est donc de donner naissance à «des bulles qui pourraient [à nouveau] déstabiliser l’économie mondiale». L’institution monétaire pourrait de surcroît faire face à de fortes pressions de la part de la nouvelle majorité parlementaire Républicaine élue mardi. «La Fed impose le plus pervers de tous les impôts – l’inflation» a ainsi critiqué le sénateur du Kentucky Rand Paul. Enfin, à l’étranger, cette perspective d’une nouvelle avalanche de dollars est soupçonnée de déstabiliser l’économie internationale en dépréciant la valeur du billet vert. Cette crainte figurera au cœur des discussions du prochain sommet du G20, consacré en grande partie à la menace d’une nouvelle «guerre des monnaies».

En attendant la décision des autorités monétaires, les taux exigés par les investisseurs pour souscrire aux emprunts à dix ans de l’Etat américain restaient stable à la mi-journée, à 2,5612%. Mardi, à Wall Street, la bourse avait terminé en hausse de 0,58% et les transactions hors marchés laissent entrevoir une ouverture stable. Le dollar s’est légèrement, sa valeur en franc suisse augmentant de 0,1% à 0,98 francs.