Pas de répit. A Ecublens, dans la banlieue lausannoise, les 32 collaborateurs d’Electromag s’activent sur tous les fronts. Depuis trois semaines, ce fabricant de moteurs à haute vitesse (entre 50 000 et 80 000 rotations par minute et sans vibration) fait face à une explosion de la demande. La raison en est que ces engins miniatures sont utilisés pour entraîner la roue de turbines qui, à leur tour, font fonctionner les respirateurs médicaux si nécessaires de nos jours pour sauver des vies.

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«A l’heure actuelle, nous produisons déjà 50% de moteurs pour respirateurs de plus qu’en temps normal, affirme Thomas Borter, l’un des responsables de l’entreprise fondée en 2003 et basée alors au Parc scientifique sur le campus de l’EPFL. A présent, nous travaillons d’arrache-pied pour organiser des équipes supplémentaires. Notre objectif: doubler la production d’ici quelques semaines.»

Hamilton Medical, une championne mondiale

Il y a urgence. Malgré quelques signes de décélération, la pandémie de Covid-19 continue à tuer. Le nombre de patients croît jour après jour et les grands constructeurs de respirateurs médicaux – Hamilton Medical (Suisse), Löwenstein (Allemagne), Getinge (Suède), Air Liquide (France), Draeger (Allemagne) et Medtronics (Etats-Unis) – n’arrivent de loin pas à satisfaire les commandes. Comme ses concurrents, le groupe suisse, basé à Bonaduz dans les Grisons – 500 collaborateurs et 20% des ventes mondiales – prévoit de doubler sa production ces prochaines semaines.

La détresse touche tous les pays. Aux Etats-Unis, le président Donald Trump s’est appuyé le week-end dernier sur le Defense Production Act, qui autorise le gouvernement à mobiliser le secteur industriel privé au nom de la sécurité nationale, pour imposer la production de respirateurs aux constructeurs automobiles Ford et à General Motors. Selon le Johns Hopkins Center for Health Security, le pays – où le Covid-19 se répand à grande vitesse – aurait, dans le scénario du pire, besoin de 740 000 respirateurs. Il n’en a que 160 000.

Pénurie mortelle en Italie et en Espagne

En Europe, la situation n’est pas meilleure. En Italie et en Espagne, les hôpitaux sont contraints de choisir les patients à sauver pour cause de pénurie de respirateurs. Face à la même urgence, en France, le gouvernement a pris les devants et a annoncé mardi la création d’un consortium de quatre entreprises – Air Liquide (technologie médicale), Schneider Electric (équipements électriques), Valeo (équipements automobiles) et PSA (constructeur de Peugeot et de Citroën) pour produire des respirateurs. La France veut se doter d’une capacité d’environ 14 000 lits équipés de respirateurs pour faire face à l’afflux de malades, contre 5000 lits avant la crise.

Le manque ne sera toutefois pas comblé rapidement. Sur son site internet, Medtronics, dont le siège européen est basé à Tolochenaz (VD), raconte que la production dans son usine irlandaise de Galway a déjà augmenté de 40% et que des mesures supplémentaires sont prises pour en produire davantage. «Les résultats ne se feront sentir que dans quelques mois, fait comprendre son vice-président Bob White. Il faut au préalable assurer que la chaîne d’approvisionnement, les lignes de production et les collaborations externes se mettent en place.» «La difficulté pour l’ensemble de la filière, selon Thomas Borter d’Electromag, est l’approvisionnement de matières premières et autres composants. Ce n’est pas qu’une question de disponibilité, mais aussi de problème de fret», relève-t-il.

La Chine dépendante

Reste la Chine, l’usine du monde. Selon le Ministère de l’industrie et de la technologie de l’information (MIIT), le pays compte 21 fabricants, dont seulement huit ont obtenu l’attestation de garantie de qualité européenne et américaine, soit 20% de la production chinoise. Dans son édition de lundi, le Global Times affirme que des mesures ont été prises non seulement pour accélérer la production, mais aussi rehausser la qualité. Une marque chinoise, Mindray, fabriquée à Shenzhen, s’approcherait de la cour des grands.

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Selon le MIIT, la différence de qualité entre les «made in China» et les grandes marques internationales s’explique par le fait que les fabricants chinois dépendent jusqu’à 30 à 40% de composants (puces et senseurs) importés, notamment de la Suisse, des Pays-Bas, d’Italie et des Etats-Unis. En cas de problèmes, ceux-ci sont remplacés par des produits indigènes.

Quoi qu’il en soit, des acheteurs américains, européens et autres multiplient les commandes en Chine, ce qui a donné lieu à une surenchère des prix. Selon le MIIT, 1700 respirateurs ont été exportés dans les dix derniers jours de mars. Lundi dernier, il comptait quelque 20 000 commandes en attente et un grand nombre de contrats en négociation.


Différents appareils de ventilation pour différentes situations

Dans les cas les plus graves, le Covid-19 provoque des difficultés respiratoires, nécessitant une assistance. «Une ventilation mécanique est indiquée pour les patients qui n’arrivent plus à s’oxygéner et qui commencent à retenir le dioxyde de carbone, détaille Laurent Nicod, pneumologue. Soit parce que le poumon devient trop rigide, soit parce qu’il y a une obstruction des voies aériennes qui empêche l’air de passer.»

Ces respirateurs pulsent de l’air vers les poumons du malade avec une pression contrôlée. Une variation de pression permet ensuite une expiration pour éliminer le CO2, tout en maintenant ouvertes les zones pulmonaires infectées. Il existe différents types d’appareils. Dans les cas les plus graves, les patients sont intubés. Cette opération nécessite une sédation pour éviter les mouvements respiratoires naturels. «Il y a aussi des appareils de ventilation non invasifs qui prennent la forme d’un masque qui se place sur le nez et la bouche», ajoute Laurent Nicod.

Face au manque d’appareils, des masques de plongée de la marque Decathlon ont été modifiés pour s’adapter à des appareils de ventilation en Italie. «En temps normal, nous avons des masques qui sont faits dans des plastiques souples, qui s’adaptent au visage», précise Laurent Nicod. Ces masques improvisés posent encore des questions de sécurité. Autre piste, des appareils portatifs, plus simples, utilisés par certains particuliers. «Une partie des patients vont sortir des soins intensifs avec des poumons toujours un peu rigides, souligne Laurent Nicod. Ces appareils seront utiles pour faire la transition entre l’hospitalier et l’ambulatoire.» Etienne Meyer-Vacherand