En baptisant il y a vingt ans son robot chirurgical Da Vinci, la société californienne Intuitive Surgical avait frappé fort, insistant sur l’intelligence de sa créature mais aussi sur sa nature visionnaire. Le colosse robotisé a régné en maître sur son marché, jusqu’à ce qu’une bonne partie du millier de brevets qui le protègent arrive à échéance, il y a trois ans.

Avec le nom Dexter, Distalmotion a choisi de souligner l’habileté, l’agilité et la précision de son produit. Basée sur le Biopôle d’Epalinges (VD), la start-up a revendiqué vendredi la paternité du premier robot chirurgical «hybride» dont elle lance la commercialisation. Elle entend se démarquer de ses concurrents en laissant une grande liberté d’action manuelle aux chirurgiens.

«En fait, nous voulons combiner le meilleur des deux mondes, une approche pragmatique et typiquement suisse», résume Michael Friedrich, directeur de l’entreprise. Grâce à ses minuscules instruments articulés, Dexter va prendre en charge les tâches difficiles à réaliser manuellement. Il laissera en revanche la main au chirurgien pour tous les gestes faciles à opérer.

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Le chirurgien au centre de l’approche

C’est sur la surface située entre le diaphragme et le plancher pelvien que l’innovation vaudoise est à même d’œuvrer. Sur cette zone se pratiquent aujourd’hui beaucoup d’interventions dites «mini-invasives»: trois petits orifices sont faits pour passer une caméra et deux longues tiges munies des instruments. «Le problème, c’est que pour certaines sutures ou des dissections, le chirurgien ne va pas pouvoir déplacer les instruments de manière satisfaisante», observe l’ingénieur. Une table de contrôle stérilisée à portée de main doit donc lui permettre de recourir aux deux bras robotisés de Dexter.

Cette approche semi-robotique peut surprendre. Elle est totalement assumée par l’entreprise qui compte une soixantaine d’employés: «Aux Etats-Unis, on est d’abord parti sur une approche purement robotisée. Le chirurgien siège à sa console, hors du champ stérile et ne touche plus les instruments. L’idée de base, c’était de pouvoir opérer à distance, notamment dans des situations de guerre, remarque Michael Friedrich. Nous, nous voulons que le chirurgien reste au centre de la démarche.»

Visiblement, leur parti pris a rencontré un écho favorable dans les hôpitaux. Distalmotion a collaboré depuis ses débuts avec le service de chirurgie viscérale du CHUV. Cité dans le communiqué de presse publié par la start-up, Dieter Hahnloser, médecin-chef au sein de l'unité se dit convaincu que Dexter peut avoir un «impact positif sur des millions de patients chaque année dans différents types d’intervention».

Pour développer un produit qui n’a pas le droit à l’erreur, neuf longues années de travail auront été nécessaires. Pour ce faire, l’entreprise a également travaillé étroitement avec l’Hôpital universitaire de l’Ile, à Berne. L’établissement vient d’utiliser avec satisfaction Dexter pour une première série d’ablations de l’utérus.

Concurrence sur le prix

Certifié en Europe, Dexter va désormais être commercialisé pour un prix qui n’est pas communiqué pour des questions stratégiques, même si l’entreprise en fait un argument de vente décisif: «Un robot chirurgical peut coûter jusqu’à 2 millions de francs, affirme Michael Friedrich. Je vous assure que le prix de notre solution ne représente qu’une fraction de ce montant.» Selon lui, la simplification du produit permet de réduire drastiquement les coûts. Pas question, par exemple, d’ajouter une coûteuse caméra au dispositif. Celui-ci travaillera avec le système d’imagerie de l’hôpital.

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Le prix élevé de son concurrent Da Vinci a été régulièrement pointé du doigt. En 2019, le CHUV a décidé de renoncer à s’en équiper, préférant collaborer avec la Clinique de la Source qui avait déjà consenti l’investissement. Selon une étude publiée par le Swiss Medical Board, une opération de la prostate réalisée par ce biais coûte 4000 francs de plus que l’alternative manuelle. Ce surcoût grimperait de 4300 à 5500 francs pour un retrait de l’utérus. L’entreprise Intuitive Surgical fait en tout cas partie des valeurs sûres du Nasdaq. En 2019, le chiffre d’affaires d’Intuitive Surgical s’élevait à près de 4,5 milliards de dollars. Il a toutefois souffert de la paralysie suscitée par la pandémie, essuyant une baisse de 2,7% de ses ventes.

Un marché convoité

Ce n’est en tout cas pas en délocalisant une partie de la production de Dexter que Distalmotion entend faire des économies: «Notre solution n’est pas seulement entièrement développée en Suisse, elle y est aussi fabriquée», précise Michael Friedrich. L’entreprise se montre là aussi avare en détails. Tout au plus apprendra-t-on que les instruments sont produits en collaboration avec une PME romande, tandis qu’une entreprise thurgovienne intervient pour les bras robotisés.

Selon Distalmotion, quelque 12 millions d’interventions annuelles aux Etats-Unis et en Europe pourraient être réalisées avec le concours de Dexter. Un marché que la start-up n’est évidemment pas la seule à viser. Outre Da Vinci, elle trouvera sur sa route des petites sociétés, ainsi que de grands noms des technologies médicales. En 2019, Johnson & Johnson a déboursé 3,4 milliards de dollars pour acheter la société américaine Auris Health. A l’inverse de la société vaudoise, le géant américain mise sur des solutions automatiques avancées.

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