Rudolf Minsch, d’Economiesuisse: «Ce n’est pas la demande qui chute, c’est l’Etat qui interdit l’offre»
Épidémie
Le chef économiste de la faîtière des entreprises suisses digère encore, lui aussi, le caractère exceptionnel de la situation. Il salue les mesures annoncées vendredi par le gouvernement et fait confiance aux cantons pour mieux identifier les aides ciblées dont les PME auront besoin

Secoué. Et en mode télétravail. Rudolf Minsch est comme nous tous. Depuis Klosters, dans les Grisons, où «tout ferme au fur et à mesure», le chef économiste d’Economiesuisse, la faîtière des entreprises suisses, livre son analyse de la situation, ce lundi matin. Avec du pragmatisme, un brin d’optimisme et une bonne dose d’incertitude.
Le Temps: Quelles sont les priorités d’Economiesuisse, ce lundi?
Rudolf Minsch: Pour le moment, nous essayons d’estimer les coûts, d’évaluer la durée de la crise et de trouver les mesures efficaces pour soutenir les entreprises dans ces moments difficiles.
Quels sont les types de contact que vous avez avec les entreprises?
Nous réalisons des sondages réguliers pour mieux identifier les problèmes. Les contacts sont quotidiens, quasiment en direct.
Et quels sont les problèmes?
La première vague, en février, c’était l’horlogerie et les exportateurs en général, avec une réduction dramatique de la demande. La deuxième vague, désormais, ce sont les prestataires de services intérieurs, le tourisme et les commerces. Ceux qui nous contactent commencent par nous dire de quelle manière ils sont touchés et à quel point. A signaler aussi les inquiétudes concernant l’approvisionnement depuis l’étranger en biens intermédiaires pour l’industrie, par exemple les terres rares ou les plastiques spéciaux.
Quelle est votre analyse, à l’heure actuelle?
Ce qui est rassurant, c’est que l’économie suisse a l’expérience des chocs brutaux. Il y a eu 2008, 2011 et 2015. Mais toutes ces crises ont concerné les secteurs exportateurs. Cette fois-ci, c’est l’économie domestique qui est aussi touchée.
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Comment y répondre, dès lors?
L’apport de 8 milliards de francs à l’assurance chômage, annoncé vendredi par le Conseil fédéral, est une excellente nouvelle. Le chômage partiel a déjà fait ses preuves, le cadre légal est en place et il est ainsi rapidement utilisable.
Huit milliards de francs, est-ce suffisant?
Difficile à dire, tout va dépendre de la durée de l’épidémie.
Economiesuisse n’est pas favorable à un plan de relance ou à une distribution d’argent généralisée, que l’on appelle «helicopter money». Pourquoi?
Les plans de relance sont peu efficaces parce qu’ils arrivent toujours trop tard. Et à quoi servirait un plan de relance si tout est paralysé? Concernant l’idée de l’«helicopter money», cela ne fonctionnerait pas. Les Suisses qui recevraient cet argent ne le dépenseraient pas, mais l’épargneraient. Ou alors, ils consommeraient des biens importés, donc sans réelle valeur ajoutée pour l’économie en Suisse.
Le Conseil fédéral prévoit aussi des aides ciblées pour les entreprises en difficulté, comme dans l’hôtellerie ou le commerce, par exemple. Qu’en pensez-vous?
Cibler les entreprises qui en ont vraiment besoin et les distinguer des autres, cela me paraît compliqué, voire impossible à faire depuis Berne. Les cantons sont beaucoup mieux placés, ils connaissent mieux les PME et les spécificités locales et régionales. A l’heure actuelle, Bâle, Zurich et Genève ont déjà annoncé des mesures qui vont dans ce sens.
Dans cette situation inédite, on peut se montrer plus flexible dans la mise en œuvre de certaines mesures
Et les cantons vont justement recevoir davantage d’argent de la part de la Banque nationale suisse (BNS). Mais est-ce vraiment leur rôle que de prendre le relais sur ces aides particulières?
Nous vivons une situation inédite, où ce n’est pas la demande qui s’effondre sur les marchés, mais où c’est l’Etat qui interdit l’offre. Je pense donc que l’on peut se montrer plus flexible dans la mise en œuvre de certaines mesures.
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De manière plus générale, comment l’économie suisse va-t-elle traverser cette période?
En l’état, on s’attend à deux trimestres de croissance négative, donc une récession technique. Si l’épidémie ne dure pas, on pourrait néanmoins assister à un rattrapage au troisième trimestre. Lorsque les gens pourront de nouveau consommer, ils devraient consommer davantage. Mais tout cela reste évidemment hypothétique pour le moment.
Jeudi, la BNS tient une réunion de politique monétaire. Que faut-il en attendre?
J’imagine qu’elle va poursuivre ses interventions sur le marché des changes, mais elle ne va pas baisser ses taux. Heureusement pour elle, la BCE ne l’a pas fait la semaine dernière.
Depuis, la Fed a encore baissé ses taux dimanche, et les banques centrales lancent une action coordonnée pour assurer le bon fonctionnement du marché des capitaux.
La situation aux Etats-Unis m’inquiète. On y constate de gros déséquilibres. Il faut se souvenir que, depuis l’automne dernier déjà, la Fed intervient sur le marché Repo pour répondre aux besoins en liquidités. L’endettement est important, tant celui des Etats que celui des entreprises. Avec la crise que déclenche le coronavirus, cela pourrait devenir un cocktail explosif.