Ruée sur la prévoyance des cadres
Retraite
Les plans pour les revenus de plus de 126 900 francs se multiplient. Ils prévoient que ces derniers reçoivent l’ensemble des gains de leur épargne, mais supportent aussi les pertes éventuelles. Une façon de se réapproprier son destin d'après carrière?

Un créneau de la prévoyance professionnelle est en pleine effervescence, celui des plans réservés aux revenus de plus de 126 900 francs. On les appelle les plans 1e. Le changement réglementaire intervenu en octobre 2017 devrait faire exploser la demande.
Ces plans 1e existent juridiquement depuis 2006 et s’adressent aux décideurs, tels que des patrons de PME, des indépendants et des managers. «C’était pour eux une manière de devenir propriétaires de leur patrimoine, y compris de leur prévoyance», expose Philippe Gay, responsable de l’offre domestique Private Banking auprès de Lombard Odier. Ces assurés à hauts revenus pouvaient choisir leur stratégie de placement, à condition de respecter les limites légales (directive OPP2). Si par malheur, ils accusaient de lourdes pertes, il appartenait toutefois à la caisse de pension de l’entreprise de réparer les pots cassés.
Moins de solidarité?
Depuis octobre 207, ce système de solidarité pour les hauts revenus a disparu. L’assuré assume dorénavant les risques. La caisse de pension n’est plus coresponsable et n’a plus besoin de prévoir des réserves comptables à ce sujet.
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Ce marché a atteint 3,6 milliards de francs à la fin de l’année dernière, mais si toutes les personnes qui disposent du revenu adéquat y souscrivent, soit 9,8% de la population active, le potentiel s’élève à 50 milliards de francs, calcule Credit Suisse.
Les atouts de ces plans sont nombreux. «L’assuré bénéficie de tant d’avantages qu’un plan 1e est une opportunité très intéressante pour les entreprises si elles désirent gagner la bataille des talents», déclare Yves Monnat, spécialiste «Executives et entrepreneurs» auprès de Credit Suisse pour la Suisse romande. La prévoyance professionnelle est en effet l'une des principales préoccupations des Suisse, même des plus jeunes. L'employeur se doit d'y répondre par une offre attractive. Or les avantages du plan 1e pour l'assuré sont nombreux.
Les atouts pour l’assuré
Premièrement, l’assuré a la possibilité d’adapter sa stratégie d’investissement à son cycle de vie et à sa situation patrimoniale. Et surtout 100% de la performance lui revient alors que, pour les parts obligatoire et sur-obligatoire (hors plan 1e) si la caisse de pension gagne 9% elle ne rémunère souvent l’avoir de l’assuré que d’une petite partie, par exemple de 2%, indique Philippe Gay.
Deuxièmement, l’assuré a une impression d’opacité, de complexité du 2e pilier. Il sait qu’il doit cotiser, mais il est sceptique sur les gains que le système peut lui apporter. «Avec le 1e, l’individu redevient propriétaire de ses objectifs et de son destin, même s’il sait que les gains ne sont ni sûrs ni aisés», analyse le gérant. Ce nouveau plan de prévoyance est associé à l’idée d’individualisation dans le sens où il permet de prendre en compte le niveau de richesse, de dépense, d’espérance de vie, le cycle de vie n’étant pas le même pour tous. Il est dès lors réducteur de parler de désolidarisation, note Philippe Gay. L’employeur se dit que s’il n’offre pas de plan 1e, il pourrait perdre ses meilleurs employés. Il est en effet important de lui offrir une prestation flexible et induviduelle en fonction de son propre profil.
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Troisièmement, à la différence des solutions collectives, on note que beaucoup de caisses 1e prévoient une sortie en capital à la prise de retraite; dès lors, en cas de décès de l’assuré, les ayants droits peuvent bénéficier de ce capital, observe l’expert de Lombard Odier.
L’impact sur l’entreprise
L’entreprise est également gagnante, selon l’expert. La mise en place du plan 1e permet de réduire les réserves de la caisse de pension et de l’entreprise si elle rend ses comptes dans des normes comptables internationales. L’adoption d’un plan 1e aura, en conséquence, une incidence positive sur le bilan de l’entreprise. Les coûts de la prévoyance professionnelle peuvent aussi être réduits et l’entreprise possède un argument pour attirer des salariés en leur offrant une solution flexible, transparente et sur-mesure. La création d’un plan 1e n’a pas d’impact immédiat sur les paramètres de la caisse de pension.
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Les acteurs qui se sont profilés dès 2006 sur ce marché étaient des fondations comme Liberty, Elite, PensExpert. Depuis un an, les banques privées et les gérants de fortune multiplient les initiatives sur ce marché de croissance. «Je crois aux vertus de la concurrence et apprécie l’arrivée de nouveaux intervenants», déclare Pasquale Zarra, associé et responsable de PensExpert en Suisse romande. La société détient 60% du marché 1e, à son avis, et gère 4,4 milliards de francs au total, dont 1,7 milliard sur le marché qui nous occupe ici.
Face à une plus grande diversité de l’offre, l’essentiel consistera à savoir qui facture combien et pour quel service. Les coûts de gestion ne devraient pas être plus élevés sur ce nouveau segment qu’ailleurs, mais le gérant prendra des frais de conseil en vertu d’un service de planification patrimoniale et d’alignement des objectifs privés par rapport aux actifs. Chez Credit Suisse, le montant sera forfaitaire par assuré et par année, autour de 300 à 350 francs. Il estime se situer parmi les meilleur marché. Chez Lombard Odier, le coût du 1e est fonction du conseil patrimonial global pour chaque client. Auprès de PensExpert, les frais comprennent un pourcentage des actifs ainsi que des coûts administratifs. A court terme, tendanciellement les pressions sur les frais devraient s’accroître, prévoit Pasquale Zarra.
PensExpert reste confiant, malgré l’arrivée de nouvelles banques, assurances et plateformes: «Notre avantage réside dans le conseil personnalisé et un accompagnement de l’assuré à chaque moment clé de la vie», avance-t-il. Plusieurs instituts entendent marier l’industrialisation et l’individualisation, ce qui pourrait pénaliser le service personnalisé.
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L’arrivée des banques
Lombard Odier par exemple est présente sur ce marché depuis 2011 dans la gestion d’actifs sur-obligatoires et offre une caisse 1e à ses cadres depuis le début 2018. Sur ce dernier segment, elle «frise le milliard de francs en clientèle déposée», révèle Philippe Gay.
Credit Suisse, pour sa part, a lancé sa propre fondation collective 1e en septembre dernier, révèle Yves Monnat. Les premiers clients seront enregistrés dès le début janvier 2019. Les futurs clients seront affiliés à la fondation collective du Credit Suisse et non à la banque.
Le marché est en mouvement. Les clients en assurance complète d’AXA ont jusqu’à fin novembre pour trouver une autre solution. Il faut savoir qu’il faut six mois pour casser un ancien contrat.
Divers instituts bancaires sont intéressés au 1e mais n’ont pas de velléité de créer leur propre fondation compte tenu du travail important à réaliser et de la base de clients nécessaires. «Beaucoup d’instituts nous approchent précisément pour utiliser notre plate-forme en marque blanche (white labelling)», indique Yves Monnat. Chez Credit Suisse, le segment est géré par la banque privée comme produit d’appel, forte de 100 000 entreprises parmi ses clients. «Nous serons très satisfaits si d’ici à trois ans nous pouvions dépasser le milliard de gestion dans le 1e», indique Yves Monnat. Le hub romand Lemania (voir plus loin), avec Gonet, Mirabaud, Plion, Mutuel et Aromed, se positionne lui comme l’acteur fédérateur.
Lier prévoyance et fortune personnelle
La valeur ajoutée des gérants de fortune se situe dans la coordination des deux mondes, ceux de la prévoyance et de la fortune libre. Dès que le risque appartient à l’assuré, celui-ci a besoin d’un expert, ou d’un planificateur financier, note Philippe Gay. A terme, le marché du 1e pourrait dépasser 100 milliards de francs, selon Lombard Odier. Le marché du 1e est très ouvert, selon Lombard Odier, avec un grand nombre d’acteurs. La période de transition se terminera fin 2019, obligeant les caisses à se positionner sur l’implémentation des plans 1e, ce qui va créer des opportunités.
Lombard Odier met à disposition les outils de planification financière, d’allocation d’actifs, de gestion avec 70 et 80 banquiers dédiés au marché suisse.
«Le 1e est un produit de banque privée et non d’assurance parce qu’il comprend un paramètre de conseil global sur tout le patrimoine du client», estime Credit Suisse.
Le traitement fiscal
Les questions fiscales font partie des aspects importants. Le capital de prévoyance est en effet exclu de l’impôt sur la fortune et les revenus de ce capital sont exonérés de l’impôt sur le revenu. Et les rachats d’années sont déduits de l’assiette fiscale. La performance après impôts d’un compte devrait en profiter. En raison des aspects fiscaux, l’assuré a meilleur temps d’avoir du rendement sur son compte de prévoyance que sur son portefeuille privé, où tous les revenus (dividendes, coupons) sont imposés alors qu’ils sont neutres pour la partie prévoyance, observe Yves Monnat.
Une des stratégies serait de prendre un risque moyen sur la prévoyance professionnelle et de consacrer une partie plus importante aux actions sur la partie privée. A l’approche de la retraite, nous conseillons aux assurés de choisir une stratégie plus prudente afin de préserver leurs actifs de prévoyance.