Longtemps territoire de l’imaginaire, les profondeurs océaniques attirent de plus en plus pour le cobalt, le manganèse ou les terres rares qu’elles renferment. L’évaluation des réserves et la connaissance des lieux potentiels d’exploitation s’étoffent. La course à l’extraction de ces promesses mirifiques s’accélère.

Les yeux sont rivés sur la compagnie canadienne Nautilus Minerals et son projet précurseur de mine en eaux profondes, Solwara 1. Des engins géants télécommandés de plus de 200 tonnes doivent labourer le fond de la mer au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée pour récupérer 3000 tonnes par jour de sulfures de zinc, de cuivre et d’or rejetés par des «fumeurs noirs», des cheminées actives situées par plus de 1500 mètres de fond. Des difficultés financières retardent toutefois le début de la production, qui était prévu début 2019.

Avancées notables

L’entreprise possède également un permis au large des îles Tonga et un autre au large du Mexique dans une autre mine sous-marine située dans la riche zone de Clarion-Clipperton. Dans cette zone du Pacifique, où sur une surface d’environ 9 millions de km2 (15% des fonds du Pacifique), le poids des nodules polymétalliques – l’une des trois différentes formes de métaux dans les océans – est estimé à 34 milliards de tonnes par les scientifiques français du CNRS et de l’Ifremer.

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Généralement situés à des profondeurs variant de quelques centaines à plusieurs milliers de mètres, ces gisements sont particulièrement difficiles à explorer, encore plus à exploiter.

Ce qui n’empêche pas des avancées notables. Le Japon a ainsi annoncé il y a un an l’identification d’un gigantesque gisement de terres rares dans sa zone économique exclusive (ZEE), à 1600 mètres de profondeur. Il pourrait héberger l’équivalent de 780 ans d’approvisionnement en yttrium (utilisé dans la fibre optique) et 730 années de dysprosium (présent dans les aimants permanents et moteurs électriques), de quoi permettre au pays de s’affranchir de toute dépendance aux approvisionnements venant de Chine, qui concentre à elle seule 90% de ces éléments métalliques.

«Estimation utopiste»

Le gisement japonais est encore loin d’être exploitable, faute de technologie, note Gaëtan Lefebvre, économiste en ressources minérales au Bureau français de recherches géologiques et minières, selon qui l’estimation nippone est «purement utopiste».

«A moyen terme, il semble absolument impossible qu’exploiter les fonds marins soit moins coûteux que de très nombreux gisements de terres rares onshore déjà connus (ainsi que pour d’autres métaux). Toutefois, il est certain que ces recherches technologiques se poursuivront et devraient un jour aboutir», estime Gaëtan Lefebvre.

Les industriels misent sur une production à grande échelle d’ici à 10 ans. Dans l’intervalle, gouvernements et compagnies privées – de la start-up DeepGreen, soutenue par le groupe minier Glencore, aux géants Lockheed Martin ou China Minmetals Corporation – posent des jalons.

Si l’exploitation minière des fonds marins s’avère faisable, cela pourrait modifier l’approvisionnement actuel des minerais, en particulier le manganèse, estime l’Institut d’études géologiques des Etats-Unis (USGS), selon lequel plus de 120 millions de tonnes de cobalt ont été identifiées dans des nodules des fonds marins, contre 25 millions de tonnes sur terre, principalement en République démocratique du Congo. De quoi aiguiser l’appétit de Pékin.

Des Chinois à la manœuvre

Plus de 1,8 million de km2 de fonds océaniques a déjà fait l’objet de permis d’exploration, dont la moitié dans les ZEE. «Les Chinois sont très actifs et manœuvrent dans le plus grand secret», indique un acteur du secteur sous couvert de l’anonymat. «La Chine soutient en particulier de petits Etats du Pacifique avec des vues pas très claires.»

Pour les eaux internationales, l’Autorité internationale des fonds marins, agence des Nations unies, a la main. Elle a jusqu’à présent délivré 29 permis d’exploration à des gouvernements et des compagnies minières, Chine en tête.

L’agence est en train de finaliser des régulations qui donneront le feu vert à l’extraction des métaux à échelle industrielle. Mais les garde-fous ne sont pas suffisants selon des scientifiques et ONG.

Impact écologique

Qu’il s’agisse des sédiments déplacés par les extractions, des modifications de la morphologie du fond et leurs conséquences sur les courants et sur les écosystèmes très riches et diversifiés des abysses, la connaissance scientifique a réalisé de «gigantesques progrès», selon Geoffroy Lamarche, géophysicien marin.

«La question n’est pas de savoir si l’impact de l’exploitation minière est fort – quelle que soit la méthode utilisée, la zone est détruite –, mais de savoir quelle sera la régénération de l’environnement et à quelle vitesse», résume le professeur associé à l’Université d’Auckland et membre du projet Seabed 2030 lancé en 2017 pour cartographier les fonds marins du Pacifique.

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De plus amples réponses devraient être apportées par une équipe de chercheurs européens qui va prendre la mer d’ici à quelques jours aux côtés d’un prototype de Global Sea Mineral Resources – filiale du groupe belge DEME. Ils étudieront en simultané l’impact de la collecte de nodules.