Trois constructeurs automobiles majeurs épinglés en deux jours. Six ans après avoir éclaté, le scandale du Dieselgate continue de provoquer des remous. Cette semaine, Renault, Volkswagen, Peugeot et Citroën ont été mis en examen par la justice française pour «tromperie» dans le cadre de l’enquête menée sur des soupçons de fraude aux contrôles antipollution.

Ces sociétés sont accusées d’avoir faussé les contrôles antipollution menés sur des moteurs diesel d’ancienne génération à l’aide de logiciels. Ils permettaient de modifier momentanément les émissions polluantes des véhicules en cas de test. Elles seront respectivement auditionnées le 10 juin et début juillet. Fiat-Chrysler, une autre filiale du groupe Stellantis, issu de la fusion des groupes PSA et FCA en janvier dernier, pourrait également être ciblée.

Si aujourd’hui l’essentiel des poursuites judiciaires a lieu en Europe, c’est aux Etats-Unis que le scandale a éclaté. En 2015, l’Agence de protection de l’environnement américaine accuse Volkswagen d’avoir truqué les émissions des voitures vendues aux Etats-Unis, en particulier celles d’oxydes d’azote. Mais l’affaire ne se limite pas au marché américain, au total ce sont près de 11 millions de véhicules du constructeur allemand qui sont concernés. Ces révélations poussent les autorités de plusieurs pays à mener des contrôles approfondis et rapidement d’autres constructeurs sont mis en cause.

Des suites judiciaires en pagaille

Dès septembre 2015, Volkswagen reconnaît les faits, mais en fonction des pays, les procédures judiciaires prennent plus ou moins de temps. Aux Etats-Unis, le constructeur automobile allemand plaide coupable dès 2017, doit payer une amende et passe un accord pour indemniser les clients. Rien que dans ce volet américain, le groupe a dépensé près de 22 milliards de francs.

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Les informations judiciaires françaises qui valent à Volkswagen et ses concurrents d’être mis en examen ont aussi été lancées en 2017 suite à un rapport de la Direction générale de la répression des fraudes (DGCCRF). Mais entre-temps, la Cour de justice de l’Union européenne a été saisie sur la question de la légalité des logiciels utilisés par les constructeurs.

Son jugement rendu en décembre dernier, estime que l’argument de l’industrie selon lequel ces dispositifs contribuent «à prévenir le vieillissement ou l’encrassement du moteur», n’est pas suffisant pour justifier leur présence. Reste à savoir si, malgré leur illégalité, leur présence constitue une tromperie pour les acheteurs.

Tout comme aux Etats-Unis et en Allemagne, plusieurs actions collectives ont aussi été lancées en France. En avril dernier, le tribunal de Pau a condamné Volkswagen à indemniser un plaignant. Ce procès pourrait servir de jurisprudence pour les autres clients s’estimant lésés.

Un gouffre financier

Selon les estimations de la DGCCRF, Volkswagen, Renault et Peugeot encourent en France respectivement des amendes s’élevant à environ 21,5, à 4,7 et à 5,4 milliards de francs. Avec 32 milliards d’euros déjà dépensés à travers le monde en amendes et indemnisations dans cette affaire, Volkswagen est le groupe le plus touché.

Cette semaine, le groupe allemand a appris qu’il ne recevrait que 270 millions d’euros des assurances auprès desquelles il avait souscrit une couverture pour la responsabilité des actes des responsables de l’entreprise. Son patron au moment des faits, Martin Winterkorn va également payer de sa poche 11 millions d’euros de dommages et intérêts, alors qu’il vient d’être mis en accusation pour faux témoignage devant une commission d’enquête parlementaire à Berlin. Avec d’autres responsables, il sera aussi jugé au mois de septembre pour fraude en Allemagne.

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Ce scandale a entraîné un effondrement de la part de marché des véhicules diesel, passée en Europe de 55 % en 2012 à 27 % en 2020, la mise en place de normes plus strictes et a poussé les constructeurs à accélérer leurs investissements dans les véhicules électriques.

En Suisse, un dossier qui n’avance pas

Alors que dans les pays voisins les procédures judiciaires se succèdent, en Suisse l’affaire est au point mort. «Sur le plan pénal, le dossier est toujours en main du Ministère public de la Confédération (MPC) qui ne fait rien, pointe Me Jacques Roulet. Fin 2016, le Tribunal pénal fédéral avait ordonné au MPC d’enquêter, de mettre en prévention Volkswagen et AMAG. Depuis, il n’y a pas eu d’audience et je n’ai pas pu accéder au dossier malgré de multiples demandes.» L’avocat genevois, qui représente plusieurs centaines de plaignants, avait déjà souligné cette inaction en mai 2019. Il envisage désormais de porter l’affaire devant le Tribunal fédéral pour «déni de justice».

Selon les estimations du MPC, environ 175 000 personnes sont concernées. En septembre 2019, celui-ci avait mis en place un questionnaire permettant aux personnes s’estimant lésées de se joindre à la procédure pénale. Contacté par le Temps, le Ministère public indique que des «entretiens prévus à l’automne 2020, dont celui du représentant de l’entreprise d’AMAG (non pas en tant qu’accusé, mais en tant qu’informateur), n’ont pu être réalisés en raison de la pandémie.» En fin d’année dernière, l’institution a également demandé aux plaignants privés s’ils souhaitaient renoncer aux entretiens individuels pour accélérer la procédure.

Un procès pilote

Pour faire avancer le dossier, Jacques Roulet fonde ses espoirs sur un des procès pilotes mené au civil à Genève. «Nous avons une expertise judiciaire du seul laboratoire d’essai autorisé par l’Office fédéral des routes qui conclut que le véhicule objet de ce procès ne respecte pas la norme d’émission Euro 5, malgré la mise à jour du logiciel, et qu’il est inapte à la circulation», détaille l’avocat.

Actuellement, les plaidoiries finales écrites sont soumises au Tribunal de première instance de Genève. «Dans cette procédure nous demandons la résolution du contrat de vente, c’est-à-dire la restitution de la somme d’achat du véhicule, moins une valeur d’utilisation», précise Jacques Roulet. Le risque aujourd’hui pour les clients suisses concernés c’est la prescription de leurs droits selon l’avocat. «En six ans, plusieurs clients ont souhaité vendre leur véhicule, ce qui ne remet pas en cause leur participation à la procédure. Mais il faudra faire ultérieurement la démonstration que le véhicule a été repris à un prix inférieur à sa valeur sans le scandale, ce qui ne sera pas facile», souligne Jacques Roulet.

Une procédure en Allemagne

Contrairement à la France ou l’Allemagne, le principe d’action collective n’existe pas en Suisse. En 2017, la Fédération romande des consommateurs (FRC) orientait les clients vers l’initiative MyRight menée en Allemagne par le prestataire de services juridiques Financialright. Ils sont environ 1900 à l’avoir rejointe mais en mai 2020 les autorités judiciaires allemandes ont contesté la légitimité de l'action de Financialright. Cette décision fait l'objet d'un appel.

Dans une seconde procédure, Financialright s’était aussi associée à l’action menée par l’association de protection des consommateurs allemande Verbraucherzentrale Bundesverband (VZBV) regroupant 400 000 acheteurs. En février 2020, la VZBV a trouvé un accord avec Volkswagen pour l’indemnisation de 240 000 plaignants à hauteur de 750 millions d’euros, en échange du retrait de sa requête auprès du tribunal. Mais cet accord ne concernait pas les clients étrangers de la marque.