Molécule prise en otage
Pour entrer dans une cellule, vivre et se multiplier, le virus HIV doit pouvoir, en quelque sorte, s'accrocher à deux «prises» cellulaires, les molécules CD4 et CCR5. Quand il y parvient, le corps du virus se fixe au corps de la cellule de défense du système immunitaire. Il y a fusion des deux membranes et le virus peut «cracher» ses gènes à l'intérieur des globules blancs. Il prend en otage ces cellules et les force à mobiliser leur activité à la production de copies du HIV.
La découverte de la protéine synthétique PSC-RANTES a fait l'objet de publications dans des revues scientifiques (Science et Proceedings of the National Academy of Sciences) en automne 2004. Cette protéine a pour particularité de se fixer à la molécule CCR5 et de la séquestrer durablement à l'intérieur de la cellule. Le virus ne trouve donc pas la fameuse «deuxième prise» et ne peut effectuer son invasion. «Notre produit, qui a été appliqué sur la muqueuse vaginale de deux groupes de plusieurs dizaines de macaques, empêche l'infection chez l'animal», soulignent les chercheurs.
Tout un travail a été préalablement effectué, notamment par Oliver Hartley. Diplômé de l'Université de Cambridge et biochimiste de formation, ce chercheur a été engagé par la faculté de médecine de Genève il y a huit ans. Il est parvenu à mettre cette molécule «en pot» et, avec une équipe de huit personnes, il l'a rendue plus apte à engendrer une résistance au virus du sida. Aujourd'hui, il cherche un moyen de la modifier pour qu'elle soit facilement produite et à coût abordable pour les pays en voie de développement. «Au départ, on ne pouvait pas produire cette molécule dans un processus de fermentation. Il fallait utiliser des procédés chimiques, ce qui coûtait beaucoup trop cher», explique Oliver Hartley. Le scientifique est parvenu à contourner le problème et à démontrer que le principe actif était résistant à la chaleur. La voie à une production à grande échelle est ouverte.
La fondation Mintaka vise les populations des pays en voie de développement car 98% des infections liées au HIV ont lieu dans ces pays. Il y a beaucoup de recherches sur le traitement de la maladie ainsi que sur un éventuel vaccin. En revanche, la prévention n'intéresse pour ainsi dire pas les sociétés pharmaceutiques, obligées de travailler sur des traitements que peuvent se payer les patients.
Le produit de Mintaka est destiné aux femmes. Contrairement au préservatif, ce sont elles qui pourront en contrôler l'utilisation. La fondation s'appuie d'ailleurs sur les conseils d'un sociologue pour étudier l'acceptabilité du produit auprès de la population. «L'utilisatrice ne devra pas dépenser plus de dix francs par année pour acheter le principe actif, souligne Robin Offord. De notre côté, nous n'autoriserons ni bénéfices, ni royalties sur les ventes.» Les premiers essais cliniques auront lieu dans les pays industrialisés, si possible d'ici à la fin de l'année. «Nous devenons de plus en plus crédibles mais, attention, notre produit peut toujours échouer en phase clinique sur l'humain.» Toutefois, Robin Offord est plein d'espoir. «Ce n'est pas un produit à injecter ou à avaler, ce qui diminue les risques d'échec.»
Hébergée au sein de l'incubateur genevois Eclosion et ayant accès aux laboratoires du Centre médical universitaire, la fondation Mintaka fonctionne grâce à un budget annuel de 900000 francs, obtenu auprès de différentes institutions et fondations. «Il faudra à terme trouver du financement auprès des organisations non gouvernementales, des grandes fondations ou des gouvernements pour continuer la recherche et passer aux essais cliniques», explique Robin Offord.