* Institut des sciences de l’environnement, Université de Genève

Les concessions d’eau font jaser. Il faut dire que l’on parle en millions de francs. Dès lors, lorsque les prix sur le marché spot vacillent, les inquiétudes font surface. Les Valaisans vont-ils voir fondre la valeur de leurs droits d’eau à la même vitesse que leurs glaciers? Il semble que les communautés concédantes sont en train de rejeter la faute sur les subventions attribuées à l’éolien et au photovoltaïque. Il paraît évident que la politique énergétique manque de cohérence. De plus, son impact sur les marchés est souvent mal anticipé. Mais cela nécessite une réflexion globale. Ne vaudrait-il pas mieux se concentrer sur la manière d’envisager le renouvellement des concessions? En premier lieu, ne faudrait-il pas rediscuter la durée de celles-ci?

Mais avant d’ouvrir ce débat, il nous faut clarifier la différence entre coût fixe (en particulier, le capital) et variable (par exemple, la maintenance). En effet, il y a régulièrement confusion dans les discussions. Ainsi, quand on parle de coûts de production atteignant 10 cts/kWh, ceux-ci prennent en compte la totalité. Dans le cas de l’hydroélectricité, la partie variable est faible. Or, c’est lorsque celle-ci est inférieure au prix du marché que l’on arrête de produire. Ainsi, c’est une aberration économique que de laisser croire que les installations qui viennent d’être rénovées vont être stoppées. En effet, cela ne fera pas revenir l’argent investi et il faut de toute façon payer les coûts fixes.

Revenons désormais au débat sur la durée des concessions. Celles-ci sont généralement acquises pour quatre-vingts ans, même si ce n’est qu’un plafond fixé par la loi suisse. Octroyer le maximum pouvait paraître logique au temps de la planification par des monopoles publics. Les lourds investissements nécessaires à la construction des grands barrages étaient également un argument. Après la libéralisation du marché de l’électricité, cela mérite d’être rediscuté. Des périodes plus courtes sont concevables, car cela existe déjà dans plusieurs pays. Par exemple, l’Italie accorde les droits d’eau pour trente ans. Les grandes gagnantes de cette diminution pourraient même être les communautés concédantes.

Un investissement privé sur huit décennies signifie énormément d’inconnues. Ainsi, l’Agence internationale de l’énergie se borne généralement à faire des scénarios de prix sur vingt-cinq à trente ans. Il faut dire que la chute de ceux-ci observée ces dernières années n’avait même pas été envisagée il y a dix ans de cela. Or, on le sait, plus l’incertitude est grande, plus l’investisseur veut être rémunéré. La seule manière de l’attirer sera alors de faire baisser la valeur de la concession. Si les entreprises peuvent renouveler plus régulièrement le droit d’eau, elles prendront moins de risque. Elles pourraient, à période égale, être prêtes à offrir plus.

Le montant déboursé par l’exploitant serait également moins influencé par les fluctuations du marché. Comment est-il possible que la baisse de ces quatre dernières années puisse faire tant trembler les sommes en jeu? Aura-t-on cure de cela dans quatre-vingts ans? En fractionnant la durée, on gagnera en information. Cela ne pourra qu’être bénéfique. D’autant plus que les prix spots n’existent que depuis une quinzaine d’années en Suisse.

Avec des sommes en jeu réduites (car portant sur de plus courtes durées), le débat pourrait devenir moins émotionnel. Les autorités auraient moins de poids sur les épaules. Au pire des cas, si elles font une erreur, elles pourront toujours corriger le tir lors des prochaines négociations et non dans quatre-vingts ans. Cela permettrait également de répartir de manière plus équitable les revenus générés par ces concessions à travers le temps. Pourquoi toucher le pactole plutôt que de laisser une part aux générations futures?

Car au cœur de tout cela, il y a une question éthique. Est-on prêt à bloquer la liberté de toute une génération d’adapter les règles? En effet, celles-ci sont fixées une fois la concession attribuée. Si nos enfants désirent des normes plus strictes au niveau de la protection de l’environnement, ils ne pourront le faire qu’à leur retraite. Nous avons également été confrontés à cette situation avec la loi sur la protection des eaux de 1991. En effet, dans certains cas, celle-ci ne pourra être appliquée que dans les années 2050. Sommes-nous assez confiants en nos valeurs pour penser que notre droit correspondra aux préoccupations de la fin du XXIe siècle?

Il reste à soulever un second tabou: la mise aux enchères. Les communautés concédantes auraient plus à gagner en renouvelant les concessions par ce biais. Elle agrandirait la demande et obtiendrait le prix du marché de leur droit d’eau. Ce serait plus simple et plus efficient que le calcul obscur actuel. Deux tiers sont déterminés par la valeur de rendement et un tiers par le montant des installations.

Ce nouveau mode de vente nécessiterait un changement drastique de mentalité. Est-on prêt à vendre nos concessions à des entreprises étrangères? Le Valais raisonne en termes d’intérêt cantonal face aux cantons de plaine dans sa nouvelle politique des forces hydrauliques. L’international ne semble donc pas être envisageable.

Cependant, l’UE ne pourrait pas le voir de cette manière. En effet, en privilégiant une compagnie, il y a entorse à la concurrence. Cela peut être vu comme une subvention déguisée. De plus, nos entreprises vont bien voir ailleurs, alors pourquoi les autres ne pourraient-elles pas venir? On l’a vu ces derniers temps, la souveraineté nationale est mise à mal et le renouvellement des concessions pourrait bien en être un énième exemple.

Cet article est parsemé de questions. En effet, le sujet est complexe et doit être étudié en profondeur, entre autres au niveau académique. Or, les débats actuels sont surtout politiques. Les confusions faites n’aident d’ailleurs pas à rationaliser les discussions. De plus, la problématique des concessions montre à quel point la transition énergétique n’est pas seulement une question technologique, mais également économique, politique et éthique. On ne sortira pas du nucléaire sans une compréhension apportée par ces domaines.

Si nos enfants désirent des normes plus strictes au niveau de la protection de l’environnement, ils ne pourront le faire qu’à leur retraite